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    Chroniques Dûnbareithel : Rälkezad, Arwaelyn et Galvan.

    Rälkezad de Glace-Sang
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:05


    [La présente suite de récits fait écho à l'histoire de la jeune Arwaelyn de la Maison des Dûnbareithel, de son serviteur Galvan et du Réprouvé Rälkezad de Glace-Sang.

    Ces récits participent d'une certaine idée du Background du Nord du continent de Lordaeron et résultent de la fusion de trois sujets distincts.

    Ces trois personnages se répondront sans s'en rendre compte dans leurs récits, complèteront leurs histoires respectives et donneront des points de vue parfois différents, parfois complémentaires des mêmes évènements.

    Les évènements relatés vont de l'époque un peu antérieure à l'avènement du Fléau et se poursuit jusqu'à nos jours.

    Bonne lecture.]

    Rälkezad de Glace-Sang
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:07


    Galvan



    Je suis né il y a de cela 38 ans sur les terres à l’Est de l’ancien Royaume de Lordaeron, dans la région que l’on appelle maintenant Valnord.

    De par ma naissance, j’étais appelé à servir des gens mieux nés que moi. Après avoir un temps aidé mon père aux travaux des champs, sur le fief du Seigneur Rodric, mes parents furent autorisés par notre seigneur à rejoindre une partie de notre famille sur des terres plus au Sud, dépendant de l’influence commerçante de La Main de Tyr et non plus de celle de Stratholme.

    Cependant je ne devais pas longtemps rester dans l’état de paysan, car je fus surpris à mes douze ans en train de braconner dans les bois de notre nouveau Seigneur. Je fus pris et mes parents auraient désespéré tant pour moi que pour eux-mêmes si le frère de notre nouveau seigneur, de voyage sur ces terres, n’avait pas trouvé l’affaire amusante et n’avait pas demandé comme une faveur à son frère de me confier à lui.

    Mon Seigneur accepta la demande de son frère, qui était par sa nature généreuse et décidée une personne à qui on ne refusait rien. Il vint lui-même me chercher dans ma geôle, et je n’oublierai jamais notre première conversation. Je dois dire qu’il parla pour deux, car j’étais bien trop terrorisé pour bredouiller plus que quelques mots.

    Il m’apparut cependant très vite que celui qui allait devenir mon nouveau maître n’était pas un noble comme les autres, pour autant que je pouvais en juger à l’époque et ce sentiment s’accrut durant les années qui suivirent.

    Moitié aventurier, moitié diplomate, il possédait des terres dans le Nord, qui lui venaient d’anciennes allégeances prêtées à des Princes Hauts Elfes. Mais il n’aimait rien tant que de voyager entre le Royaume de Quel’Thalas et les terres à l’Est du Royaume de Lordaeron. Il était selon ses termes en affaires avec des Magiciens, des Princes Bien Nés et des êtres que les paysans de Lordaeron ne voyaient jamais en toute une vie. Il semblait à mes yeux vivre ces aventures que l’on conte dans les légendes.

    Il avait besoin d’un garçon qui sache prendre soin d’un cheval et de son cavalier, faire le feu sous la pluie et la soupe de châtaigne le soir mais surtout, disait-il en souriant, sangler correctement un harnais de voyage.

    En quelques années, j’appris à faire cela et bien plus. J’appris également à vivre dans les légendes, lesquelles sont dans le Nord par nature plus froides et humides qu’on ne les raconte aux enfants le soir pour les émerveiller.

    C’est lui qui m’apprit à lire, par désœuvrement les soirs de bivouac, me laissant m’entraîner sur des missives princières officielles et des dépêches diplomatiques publiques. Il n’exigeait qu’une chose : que je lave mes mains avant de lire…

    Je suivis d’années en années ce Maître doux et terrible à la fois, généreux mais habile, dont je ne connus que très tard les tourments.

    Il allait souvent à La Main de Tyr rencontrer des partenaires d’affaires, et les terres de son frère étaient un relais idéal avant de paraître devant les seigneurs Hauts Elfes et les Princes Marchands avec lesquels il buvait comme avec n’importe quel commun.

    Et en effet, mon maître connaissait de nombreuses personnes dans le Nord et dans le Sud, et dans l’Ouest aussi. Je m’étonnai au début de l’entendre parler d’affaires sans le voir jamais faire transporter de ballots par une caravane, mais il me disait qu’il transportait dans sa tête et sa sacoche de selle d’autres sortes de biens qui pouvaient se monnayer aussi bien que des chariots d’épices ou de métal.

    Je lui demandai alors s’il était une sorte d’agent de Cour, moitié diplomate moitié courtisan ou espion, ce à quoi il répondit en riant qu’il n’était pas un chien de cour. Il était libre. Il allait et venait comme il l’entendait.

    A cette époque il n’était point encore père, et ce furent les années les plus exaltantes, les plus incroyables et les plus humides que je connus jamais.

    Mais je ne raconterai pas plus les affaires personnelles de mon Maître, dont je tais le nom à dessein ; ce sont en effet mes confessions et non les siennes que je relate. Non pas que mes aventures me paraissent plus dignes d’être écrites que celles de mon Maître.

    Car si je dis « confessions », c’est bien qu’il y eut crimes ou à tout le moins péchés. Et que le repos de mon âme exige, tel un impérieux commandement, que je me confie au présent carnet comme à un ami que je n’ai jamais eu le temps ou l’occasion de me faire.



    Rälkezad de Glace-Sang



    *Le grattement de la plume sur le rude vélin était ponctué par le grincement du bois du navire balloté par les flots*

    Je suis un ancien servant de celui que l'on nommait autrefois le Roi-Liche, celui-là même qui recréa l'antique Ordre des Chevaliers de la Mort et le modela à son image.

    Si j'écris ces lignes...

    *La créature penchée sur le secrétaire exigu cloué au plancher à cause du roulis, patiné et tâché par l'encre noire se retourna, pour jeter un regard aux matelots épuisés et couchés à même la cale, faiblement éclairée par une bougie de suif ; sa face décharnée semblait un masque de cire glacée, éternellement figée sur un rictus d'effroi et de souffrance ; il affirma sa main et se remit à tracer des lettres courbes sur le vélin*

    ..., ce n'est pas pour flatter ma faible gloire personnelle.

    Cependant, nous nous trouvons engagés dans un périple dont il est à présent certain que nous ne reviendrons pas... identiques à ce que nous étions lorsque nous prîmes la Mer. La non-vie me rend prudent quand j'évoque la Mort, mais il est certain qu'elle plane au-dessus de notre funeste entreprise.

    Avant de coucher sur ce manuscrit les évènements qui nous ont conduit, mes compagnons et moi, à partir pour cette ultime destination, je relaterai les circonstances qui ont fait de moi un membre de cet équipage.

    Que le lecteur téméraire me pardonne si la chronologie exacte des anciens évènements lui paraît malmenée, car les évènements me paraissent avoir désormais une logique différente de celle dont pourrait faire montre une créature douée de raison commune.

    *La porte de la cale s'ouvrit violemment, laissant entrer le mugissement du vent glacial qui balayait le pont ; la bougie de suif s'éteignit et l'être qui tenait la plume, d'un pas sûr, alla refermer la porte, plongeant la cale dans l'obscurité la plus totale*



    Arwaelyn




    Je suis Fille du Nord. J’ai en subi les mêmes peines, depuis l’avènement des jours sombres qui virent la fin du Royaume de Lordaeron.

    Je n’avais pas quinze ans lorsque la guerre et la défaite des Hommes me jetèrent sur les routes de l’exil, avec pour seule compagnie le serviteur de mon père et le souvenir des gens de ma Maison.

    Ce jour devrait être un jour de joie. L’un des rares qu’il m’ait été donné de connaître, puisque je me marie. Mais ce sont pourtant des larmes de tristesse qui coulent de mes yeux.

    Laissez-moi vous conter mon histoire.
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:08


    Rälkezad de Glace-Sang



    Le secrétaire de bois cloué au plancher grinçait à chaque temps du roulis. De l'eau de mer croupie venait lécher les pieds du Réprouvé qui tenait sa plume haute, comme suspendue par sa pensée.

    Puis il posa sa plume contre le vélin humide et le raclement caractéristique du fer sur la peau reprit :

    Je me souviens mieux aujourd’hui des circonstances qui m’on vu renaître, non pas à la vie comme disent poétiquement les bardes humains, mais à la non-mort, dans cette crypte infecte et malodorante des Clairières de Tirisfal.

    Oh, oui… je me souviens bien de cette sensation humide, comme certains fluides de mon corps se répandaient sur le sol de terre battue, au milieu des autres cadavres inanimés.

    Ce fut réellement une seconde naissance, car s’extraire des chairs décomposées et des membres pourrissants jetés pêle-mêle, à peine aidé par les Fossoyeurs, ces accoucheurs des Morts fut une expérience pénible. J’en ressortis au prix d’une grande faiblesse tant physique que psychique.

    En cette période, la Nation Réprouvée était jeune encore, et l’on saluait ce genre de renaissance comme une victoire sur le Fléau et un nouvel espoir pour Fossoyeuse. La renaissance d’un esprit libre, plein de potentiel, rendait les charognards chargés de veiller sur les morts moins repoussants.

    Si les nécessités de la Guerre firent que s’ils me traitèrent sans ménagement, j’eus par la suite l’occasion de gagner la confiance de gens puissants au sein de la Nation Réprouvée et j’obtins certains honneurs en vigueur à la Cour de la Dame Noire. Mais c’est un autre pan de mon histoire, que j’écrirai une autre fois sans doute.

    Lorsque je revins parmi les êtres pensants, j’avais perdu la plupart de mes souvenirs. J’ai su plus tard que l’amnésie est parfois le symptôme d’une mort violente chez les non-morts, comme une migraine tenace est la cause d’un choc sur la tête pour les vivants.

    Et violente, ma mort le fut sans doute. Car je ne conçois pas aujourd’hui ne pas m’être battu pour protéger mes biens et mes gens, puisqu’il apparaît que j’ai eu la possession des uns et le service des autres durant ma vie.

    De cela au moins j’ai pu acquérir la certitude. Car je revois parfois une haute figure, respectée de nos serviteurs, à qui l’on réservait de grandes démonstrations de joie lorsqu’il revenait de ses inspections dans les domaines du Nord, aux confins du Royaume. On le disait lié en affaires avec le Concile de Lune d’Argent et les Bien-Nés, loin vers les contrées septentrionales.

    Il me ramenait parfois des merveilles de magie, en réalité de simples hochets pour enfants Bien-Nés, mais si chatoyants qu’ils faisaient l’admiration des fils de ferme de tout le domaine pendant des semaines…

    Lorsqu’il était présent, cet homme que je devine proche parent m’emmenait faire le tour de nos biens. Il me parlait de Lordaeron et du Royaume, dont nous ne percevions que les vagues échos en ces terres orientales. Même la fière Cité de la Main de Tyr me paraissait lointaine, bien que mon tuteur y allât régulièrement pour s’entretenir avec des Haut-Elfes de Quel’Thalas.

    Mais je ne conserve plus que de rares souvenirs de mon enfance et je souhaite relater ceux qui précèdent de peu la fin de ma première existence.

    Je me vois m’entretenir avec un groupe de miliciens, attroupés et tenant grande conversation avec un soldat de la garnison de la Main de Tyr. Les premières forces du Fléau avaient été contenues au prix de lourdes pertes dans la région, on parlait de massacres plus au Nord.

    Les miliciens souhaitaient se replier derrière les murs de la Main de Tyr. Les rumeurs de la Guerre en Quel’Thalas étaient sinistres. Je m’opposai à l’abandon de mon domaine. Mais je ne pus retenir que quelques fermiers et certains des plus loyaux serviteurs de mon tuteur, qui était lui-même toujours retenu à Lune d’Argent par les circonstances exceptionnelles de ces temps troublés.

    J’attendais des nouvelles de lui et décidai de tenir les lieux inviolés jusqu’à son retour ou à tout le moins jusqu’à ce qu’il me délivre de la responsabilité de nos biens.

    J’étais jeune alors, et quand d’aucuns me tinrent pour de fou, je me figurai au contraire agir bravement et avec honneur.

    Je revois encore les familles et les hommes fuir les campagnes. Nous hébergions, parfois pour plusieurs nuits de pauvres hères qui fuyaient le Nord. Nous partagions de maigres réserves composées de gruau et de viande séchée, qui constituaient l’essentiel de ce que nous avait laissé la garnison de la Main de Tyr.

    J’en profitais pour glaner des nouvelles du Nord, dans l’espoir d’en tirer un enseignement sur ce que je devais faire.

    Est-ce durant l’une de ces nuits que les Morts nous surprirent ? Ai-je eu le temps et la force d’empoigner la lame avec laquelle je dormais depuis que l’Invasion du Fléau avait atteint notre région ?

    Aujourd’hui encore, je ne m’en souviens pas. Lorsque je revins sur ce monde en tant que Réprouvé, je n’avais que de vagues consolations : j’étais presque certain que je n’avais plus de famille, car Lune d’Argent était tombée depuis quelques jours déjà.

    Peu de temps après mon réveil, je savais ma lignée éteinte et pus sans arrière-pensée commencer à tuer les vivants, m'épargnant la crainte de porter la mort auprès de ceux parmi les miens qui pouvaient encore vivre.


    Un coup de tonnerre plus fort que les autres ébranla la coque même du navire et Rälkezad, posant sa plume sur le secrétaire se mit à vérifier si de nouvelles voies d'eau devaient être colmatées.
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:09



    Galvan



    Lorsque j’y songe aujourd’hui, j’ai bien commis quelques actes que la conscience peut reprocher à un honnête homme.

    De mon premier braconnage à mon dernier acte, j’ai suivi bien des chemins et pris quelques détours que peu d’hommes empruntent, peut-être parce que j’ai un temps suivi la voie d’un être d’exception.

    Je ne me reproche guère les actes que je fus amené à accomplir sur l’ordre de mon Maître. Ces actions étaient contraintes par les liens de servitude et mon Maître haïssait de toute manière la félonie ou le mensonge. Être diplomate exigeait une autre forme de vérité que celle pratiquée par les communs, mais elle interdisait le mensonge, selon lui, ce qui lui permettait de suivre une voie courbe mais point malhonnête.

    Même lorsqu’il voulait séduire une femme, qu’elle fut noble ou non, il ne me demandait pas comme certains l’auraient fait de le flatter en son absence devant la belle ou encore d’induire des pensées dans le cœur et la tête de la personne qui faisait l’objet de ses attentions. Il n’avait point besoin de m’y contraindre, car par la franchise et la loyauté il obtenait les mêmes résultats et les mêmes actes de moi.

    C’est à la tragique fin de sa vie que je fus conduit à m’écarter de l’exemple qu’il m’avait montré. J’en viens à croire que jusqu’au bout, il m’avait amené par des chemins que j’aurais été incapable de suivre sans lui et que j’étais resté ce jeune braconnier, ce coureur de bois qu’il avait sauvé un jour de la potence et que son absence révélait à nouveau.

    On dit que l’ombre du Maître occulte celle de son serviteur, peut-être que la mienne redevint simplement celle de mes débuts sans gloire ni honneur dans ce monde, qu’elle serait restée si ma route n’avait pas rencontré la sienne.


    ***



    Hélas, même aujourd’hui, comme les souvenirs de la chute de Lune d’Argent me reviennent ! Avec quelle cruelle précision et quelle fraicheur !

    Mon Maître avait rejoint à la hâte ses domaines du Nord, où il avait fait venir son unique enfant, qu’il avait eu de la plus douce fille du Nord que mes yeux m’aient donné à voir. Hélas, la mère était morte en couches et mon Maître ne put jamais revoir sa fille sans que le cruel souvenir de ce qu’elle lui avait coûté ne vienne le hanter. C’est pour cela qu’il continuait à son âge à courir les routes du Nord. Une de ses voisines, Princesse Haut Elfe, avait accepté de prendre sa fille comme page, le laissant aller à ses courses.

    Mais le Fléau avait paru. Il détruisait les Royaumes et corrompait les êtres comme les terres. Les forestiers de Quel’Thalas lui avaient livré une guerre habile mais vaine et les Bois des Chants Eternels lui étaient à présent ouverts.

    Comme ces temps charrient encore dans mon cœur la détresse ! Des hommes du Nord, bloqués chez les elfes par l’avancée de l’ennemi s’étaient réunis. Ils s’étaient armés et participaient aux dernières défenses. Mon Maître commandait à cette cohorte quand vint le moment où il lui fallut choisir le lieu de son dernier combat.

    Contre les ordres des Elfes, il choisit de se battre sur les terres qui comprenaient le domaine de son amie et voisine Haut Elfe et son propre domaine, à Brise-d’Azur et non à Lune d’Argent, qu’il savait condamnée.

    Mais avant, il me commanda de sauver sa fille de cet enfer, par tous les moyens honnêtes comme malhonnêtes qui se présenteraient à moi.

    Il n’en vint pas un d’honnête. Je les utilisai tous.


    ***


    J’avais souvent apporté des lettres de bon voisinage à la famille voisine du domaine de mon Maître, lorsqu’il ne pouvait se déplacer lui-même, pris par le temps...

    Je connaissais leurs terres presque aussi bien que les nôtres, et mon œil d’ancien braconnier relevait maints détails jusqu’alors inutiles à un homme de bien, du moins le pensais-je.

    Je savais que la fille de nos voisins se plaisait à utiliser un tout petit voilier, que pilotait son serviteur personnel lorsque l’envie lui venait d’échapper à l’étiquette de sa condition.

    J’avais un temps lié une connivence avec ce serviteur, car sa petite maîtresse entrait dans le même âge que la fille de mon Maître et nous échangions quelques propos de gens de même condition. En outre, les deux fillettes se connaissaient bien, pour avoir longtemps vécu dans la même Maison. Pour autant que leurs conditions respectives les y aient incitées, elles avaient noué une sorte d’amitié que leur jeune âge avait permise.

    C’est le serviteur de cette jeune fille Haut Elfe qui m’indiqua les rudiments de pilotage des voiliers. Suffisamment pour sceller sa perte, ainsi que celle de sa petite maîtresse…

    Lorsque mon Maître m’ordonna de sauver sa propre fille par tous les moyens que je pourrais saisir, je revis en un éclair le petit voilier, amarré aux minuscules quais que possédaient nos voisins dans une crique en contrebas des falaises.

    Leur manoir était en feu, mais les quais étaient suffisamment éloignés du manoir pour que je tente de m’y rendre.

    Je dus traverser une terre dévastée par l’Ennemi et ma connaissance des bois me permit de prendre de vitesse ennemis et défenseurs.

    Arrivé aux quais, je détachai l’amarre du voilier, la seule embarcation encore à quai et pris la direction du domaine de mon Maître. Le temps pressait et la Maison de Mer n’allait pas tarder à être encerclée par les Morts du Fléau.

    En arrivant sur le rivage que dominait la Maison de Mer, j’essayai hâtivement de camoufler le voilier et me mis en quête de la petite Arwaelyn.

    Elle se jeta dans mes bras lorsque je parus sur le perron de la Maison de Mer, car elle était abandonnée de tous à présent. Les serviteurs allaient et venaient, sans buts ni espoir, semblables à des bêtes affolées qui ont rompu leur bride et qui ruent dans des bâtiments en feu.

    Je n’étais pas comme eux. J’avais un but, qui était de sauver la jeune Arwaelyn. Et un espoir : le voilier que j’avais laissé sur le rivage. Je pris Arwaelyn par le bras et l’entrainai avec force vers les marches de pierre qui menaient au rivage.

    A cet instant, des hurlements à faire dresser le poil sur les bras s’élevèrent des bois environnants et Arwaelyn, prise de faiblesse, ne se soutint plus. Je dus la porter jusques en bas des marches, sur le rivage.

    ‘Las !, le voilier avait été découvert par deux femmes, des servantes de notre maison, qui sans vraiment connaître la navigation voyaient malgré tout un moyen de quitter ces contrées maudites. Mais le voilier ne pouvait contenir sans danger que deux personnes.

    Arrivé à leur hauteur, je leur dis sourdement que le voilier ne les porterait pas.

    Elles me répondirent avec emportement que je ne pouvais les empêcher de monter à bord. Elles comprenaient que je pouvais piloter l’embarcation et les sauver, alors elles se firent pressantes. Elles sauraient récompenser mes actes en femmes, ce que la jeune fille ne pouvait promettre.

    Je restai cependant inflexible à leurs cajoleries ou leurs suppliques et les yeux écarquillés par la peur, rendue folle par le danger, l’une d’elle se jeta sur Arwaelyn, toujours sans forces, et je dus la laisser choir sur le sable pour m’interposer.

    Saisissant ma lame de botte, je frappai la femme à la poitrine. Elle ne voulait pas mourir et tenta de me griffer les yeux dans un dernier mouvement de vie, je frappai encore et la repoussai d’un coup de pied dans son ventre rougi.

    Atterré et comme frappé par la foudre, je regardai le sang sur mes mains et la seconde femme s’enfuit en courant, non sans m’avoir maudit et traité de meurtrier.

    Je portai de nouveau Arwaelyn et la posai sur le voilier, que je poussai à la mer.

    Il ne me fut pas aisé d’éloigner notre embarcation du rivage, dont les courants étaient différents que dans la crique de nos voisins et qui nous repoussaient sans cesse vers la côte.

    Je parvins malgré tout à nous faire longer les côtes, repassant par les falaises et les brisants qui jouxtaient les terres de nos voisins.


    C’est là que j’assistai à la fin de la petite Haut Elfe et de son serviteur, prisonniers des terres. Nul doute que le serviteur avait pensé au voilier lui aussi, mais il avait du constater que les quais étaient vides.

    Leur fin horrible me hante encore. J’avais sauvé la jeune Arwaelyn mais pour ce faire, quatre personnes étaient mortes ou condamnées de mon fait. Digne ou non de la charge confiée par mon Maître, je poursuivis une route qui semblait devoir être marquée par ma déchéance morale.

    Nous fumes recueillis avant la tombée de la nuit par un navire Haut Elfe qui avait quitté à temps Lune d’Argent, avec à son bord de nombreux survivants. On nous dit que le navire s’en allait croiser vers Menethil et que les hommes de l’Alliance prendraient soin de nous.


    Mon expérience des hommes en ces temps de malheur fit que je doutai en mon for intérieur de l’accueil que nous réserveraient les gens du Sud. J’eus l’occasion de m’emparer de bijoux dans une cabine, sans doute appartenant à un noble ou encore à un officier en paiement de son droit de monter à bord quand d’autres étaient refoulés.

    J’avais vu les encoches sur le bois du navire, révélant quel avait été le sort de bien des malheureux sur les quais de Lune d’Argent. Mais qui étais-je pour juger les marins ? N’avais-je pas moi-même acquis par le sang le petit voilier ?

    Je n’hésitai pas et dissimulai mon larcin contre ma poitrine. Je ne doutai pas que ces objets de valeur pourraient acheter le retour à meilleure fortune de ma jeune Maîtresse.


    Arwaelyn



    Arwaelyn tremblait, allongée sur le pont du petit voilier que pilotait Galvan, le serviteur de son père. Ses jambes ne la portaient plus depuis qu’elle avait entendu de la lisière des bois les hurlements des hommes que commandait son père. A ce souvenir, les larmes aveuglèrent de nouveau la jeune fille.


    Galvan jeta un nouveau regard vers la jeune maîtresse. Son état l’inquiétait ; il avait du la porter des quais jusqu’au voilier. Ses forces et sa volonté de vivre semblaient l’avoir abandonné et seuls ses tremblements indiquaient qu’elle ressentait encore quelque émotion.

    État de choc. Ses propres mains tremblaient également sur le gouvernail. Le sang lui dégouttait des doigts. Celui de deux servantes qu’il avait du poignarder pour les refouler hors du voilier, trop petit pour les contenir elles aussi.

    Galvan se ressaisit. Son Maître avait mis le sort de sa fille entre ses mains. Mais où aller ? Son embarcation était trop frêle pour supporter un voyage en haute mer et toute la région serait tombée sous peu aux mains du Fléau.

    Il fallait fuir, mais vers quelle direction ? Le Nord de Quel’Thalas ? Des poches de résistance devaient encore exister, mais qui se soucierait de deux humains réfugiés et incapables de guerroyer à la façon des forestiers ? Au Sud ? De nombreuses lieues les séparaient d’un refuge sûr. Leur voilier ne tiendrait pas, la Mer les prendrait, victimes anonymes des éléments indifférents.

    Il se rapprochait insensiblement des terres de leur voisin, dont le manoir en flammes éclairait comme une chandelle les côtes de Brise-d’Azur. C’est alors qu’il la vit. Cette petite fille hanterait longtemps ses cauchemars…

    Elle se tenait en haut de la falaise, sa robe colorée battue par les vents. Une tragédie se déroulait devant ses yeux. Un elfe, un serviteur sans doute, tenant une épée dans son poing, la petite elfe agrippée à ses vêtements derrière lui. L’adulte chargea les deux goules qui les avaient acculés. Il n’était pas complètement à terre que les monstres le dévoraient déjà, détachant sa tête du tronc sous les hurlements de la gamine, qui reculait désespérément près du vide.

    Les goules se retournant vers elle… Galvan, hypnotisé par cette scène, incapable d’articuler un cri, une lamentation sourde. La gamine qui se jette du haut de la falaise sur les récifs en bas.

    Arwaelyn qui crie en tendant la main vers la côte, qui crie aussi longtemps que dure la chute de la fillette. Et Galvan qui tourne le gouvernail pour mettre le plus de distance entre leur voilier et la côte. Entre eux et ce pays maudit.

    Combien de temps a duré leur dérive, dans des eaux trop tumultueuses pour que leur embarcation pût seulement être dirigée ? Mais la nuit n’était pas encore tombée quand ils virent qu’un vaisseau de guerre de Lune d’Argent croisait dans leur direction. Certainement un simple hasard. Bienvenu malgré tout.

    Une corde jetée par un marin elfe, que Galvan saisit avec désespoir. Il saisit Arwaelyn par la taille en tenant d’une main la corde. Arwaelyn qui ne répond toujours pas, le regard fixe. Les marins hissent les deux rescapés humains. Le navire est bondé de réfugiés, pour la plupart elfes. Ils sont hagards. Ils viennent de l’enfer de Lune d’Argent, d’où tout le monde n’a pas réussi à s’enfuir.

    De nombreux nobles et leurs serviteurs. Des soldats. L’équipage. Galvan arrive à hauteur du pont et s’accroche à la rambarde. Il pose sa main sur une encoche faite à la hache ou à l’épée. À l’intérieur de l’encoche, du sang. Tout le long du pont, de semblables encoches. Galvan ferme les yeux. Il ne veut pas savoir qui a tenté désespérément de prendre à l’abordage le navire et les raisons qui ont poussé ceux qui y étaient déjà de couper les mains.

    Arwaelyn garde les yeux fixés sur les encoches jusqu’à ce qu’elle mette les pieds sur le pont. Galvan la soutient et regarde les gens qui les entourent. Ils ont vécu l’enfer et certains ne sont déjà plus ce qu’ils paraissent être. Les nobles ont eux aussi du sang sur leurs mains. Peut-être celui de leurs voisins, de leurs proches ou de leurs parents. Les serviteurs ont le regard fuyant. Les soldats ne se regardent pas entre eux. Les marins vont aux manœuvres comme des fantômes.

    « Nous sommes damnés. Ce bateau ne nous a pas secourus. Nous allons simplement partager la dernière destination de ces âmes en peine » pense un instant Galvan.

    Mais le capitaine s’approche d’eux. Il leur dit que le navire vient de Lune d’Argent et que d’autres vaisseaux ont aussi pu quitter la rade avec à leurs bords des survivants de l’assaut du Fléau. Lune d’Argent est tombée. Quel’Thalas est tombé. Les forestiers n’ont pas pu arrêter la progression de l’Ennemi.

    Il leur faut désormais aller au Sud, qui se lève enfin et prend tout entier les armes. Là-bas, à Menethil sans doute, ils déposeront les réfugiés, referont de l’eau et se porteront vers l’Amiral de l’Alliance afin de lui prêter allégeance. Ils reprendront alors le combat vers le Nord.

    « On dit que des combattants du Royaume de Lordaeron résistent encore, que des réfugiés s’attroupent aux frontières de Gilnéas, que les combats continueront aussi longtemps que le courage des hommes du Nord ne vacillera pas… »

    On permet à Arwaelyn de se coucher dans la cale, qui a été réaménagée en dortoir hôpital. Galvan s’assure qu’une guérisseuse débordée lui consacrera quelques instants et il visite le navire.
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:11


    Galvan



    Au port de Menethil, l’accueil de la soldatesque du Sud me laissa entrevoir que l’heure était plus à la prise d’armes qu’à la consolation des réfugiés du Nord. Ce n’est que par la rouerie et la corruption que j’obtins de marins entreprenants qu’ils nous fassent entrer à Hurlevent par voie de mer. En effet, les routes étaient réquisitionnées pour les transports et les convois militaires.



    Arwaelyn



    Le navire atteint en quelques jours le port de Menethil. Certains réfugiés sont déjà fiévreux, des blessés ont succombé et ont été jetés à la mer durant le voyage. Tous sont dans un état de grande fatigue.

    A Menethil, d’autres réfugiés venus eux de Lordaeron, de Hautebrande et de Stromgarde s’agglutinent sur le port.

    Galvan note les signes d’une grande mobilisation ; on dit que l’Amiral de Kul Tiras viendra en personne superviser les mouvements de la Flotte de l’Alliance. Les rumeurs les plus folles courent sur ce qui se passe dans le Nord. On croie à peine que le Prince Arthas ait pu commettre le Double Crime, contre son Roi, contre son Père. Et livrer son peuple au Mal.

    On offre à boire du vin aux réfugiés pour qu’ils racontent les nouvelles du Nord. Mais sitôt les nouvelles connues, on se désintéresse d’eux. Lorsqu’un Noble demande à un soldat où ils pourront se reposer de leurs souffrances, le soldat lui réplique d’aller à une auberge, s’il en trouve qui ait encore un lit de libre et s’il a de quoi payer les tarifs exorbitants désormais en vigueur.

    Galvan n’en entend pas davantage qu’il prend la main d’Arwaelyn et la mène hors du port. Ils s’éloignent, Arwaelyn semble avoir repris ses esprits mais tout ici la désoriente. Les gens y sont si brusques avec eux, si froids… ils n’ont pourtant pas encore connu les horreurs de la guerre du Nord.

    Plus loin, Galvan trouve un propriétaire de bateau qui estime qu’une bague avec un brillant aussi beau vaut bien un détour par Hurlevent. Arwaelyn a entendu son serviteur imiter le patois du marin. Elle n’avait jamais entendu son serviteur mentir auparavant. Il a dit au marin qu’elle était la fille d’un aristocrate de Hurlevent qui l’attend avec inquiétude, elle qui revient d’un voyage chez des parents du Nord. Il a promis une riche récompense au marin, alors qu’elle sait qu’ils n’ont rien emporté lors de leur fuite de la Maison de Mer. Le voilier était si petit.

    Le voyage se déroule calmement, malgré ses cauchemars. En comparaison de son périple à bord du vaisseau des Hauts Elfes, celui-ci la rassure. Galvan n’arrête pas de lui dire que le Roi des gens du Sud est un bon Roi, qu’il ne permettra pas que soient abandonnés à la misère les nobles du Nord qui ont pu fuir la guerre et les morts.

    Arwaelyn finit par le croire. En effet, comment un bon roi pourrait-il ne pas arranger les choses ? Si seulement son Père était avec elle. Si seulement il n’avait pas été un combattant. Elle pleure encore beaucoup. Mais Galvan lui dit que pleurer est une bonne chose, que son Père ne lui en voudrait pas de pleurer, que cela valait mieux que de rester le regard fixe comme cela lui arrive encore si souvent dans la journée et la nuit.

    Galvan a continué à mentir aux marins. Il a dit qu’elle avait perdu sa famille là-bas, mais que son Père l’attendait à Hurlevent, lui, et qu’il était très riche. Arwaelyn ne sait pas si les marins le croient encore comme au début, car elle les a entendus murmurer lorsqu’ils pensaient que Galvan était suffisamment loin d’eux. Particulièrement deux des marins, qui la regardent avec de mauvais yeux.

    Elle en a parlé à Galvan, qui s’est mordu la lèvre, comme s’il s’en voulait d’avoir été inattentif. Il porte de nouveau ce qu’il appelle sa lame de botte, avec laquelle il a… fait des choses à des servantes sur les quais. Le sang giclait sur ses mains, il criait comme un fou, la tirait par le bras, la trainait vers le petit voilier, elle qui ne voulait plus bouger. Elle voulait simplement que tout s’arrête.


    Mais ils sont arrivés en vue de la Cité de Hurlevent. Galvan a griffonné des mots sur un papier qu’il a donné au propriétaire du bateau, lui a parlé avec hauteur et s’est hâté de quitter le navire.

    Sitôt hors de vue du marin, il a pris de nouveau son bras et ils ont couru dans les rues tortueuses de la grande cité. Quand il a estimé qu’ils étaient suffisamment loin du port, il s’est mis en quête d’une auberge. Il a payé plusieurs jours de pension pour eux deux avec un autre brillant, qu’il a tiré d’une pochette qu’il porte à sa poitrine. L’aubergiste a étréci ses yeux, essuyé le brillant avec ses gros doigts et les a fait monter dans une chambre propre. Galvan lui a demandé de faire venir un tailleur pour habiller convenablement sa maîtresse, qui était noble et sous la protection d’un aristocrate de la Cour de Hurlevent.

    L’aubergiste a opiné obséquieusement du chef, mais Arwaelyn a senti qu’il n’en croyait rien. Seuls les brillants de Galvan l’intéressent. Elle le sent, comme les marins mentaient à Galvan. Elle n’a pas le temps de le dire à Galvan, qui lui a demandé de rester ici pendant qu’il irait demander audience auprès du Roi de Hurlevent. Les Wrynn vont soutenir la noblesse du Nord, c’est ce qu’il répète constamment, comme une formule magique. Mais Arwaelyn sait que Galvan n’est pas un magicien. Il n’a pas de bâton, et c’est un serviteur.



    Galvan



    A Hurlevent aussi l’heure était à la mobilisation.

    Mais certaines personnes trouvaient en ces heures sombres matière à tirer profit des malheureux. Hurlevent voyait venir à elle des réfugiés, dont certains étaient nobles ou simplement fortunés.

    Les criminels de la Cité tournaient autour des exilés comme des fauves autour de leurs proies. Chaque jour, des vols, des rapines et des assassinats prélevaient leur tribut sur les réfugiés.

    Mais d’autres prédateurs, tout aussi dangereux, n’allaient pas tarder à se manifester…


    Galvan et Arwaelyn



    Galvan s’est dirigé vers le Palais royal. On lui a refusé l’entrée en lui indiquant que les audiences royales pour le peuple étaient achevées et qu’elles se tiendraient encore le lendemain matin.

    Il a essayé de faire comprendre aux gardes qu’il venait au nom d’une personne de noble ascendance. Il n’a reçu que des quolibets de la part de la soldatesque.

    Il s’est alors regardé, vraiment regardé pour la première fois depuis la fuite de la Maison de Mer. Il a maigri. Il est sale. Ses vêtements sont déchirés, tachés par endroit de sombre et de brun, il sent le sel, le sang et la mort.

    Il ne reconnait pas le serviteur de son Maître, qui imposait le respect à tous les gens du Domaine. Il doit paraître plus respectable mais surtout, il doit trouver un protecteur, qui lui ouvrira le cabinet d’un ministre. Il va devoir intéresser des intermédiaires, des courtisans habiles. Il sait comment ces choses-là se passent. Il a entendu son Maître en parler avec des Hauts Elfes dans le temps où les affaires marchaient bien. Avant la guerre, avant ce qui lui paraît désormais une éternité.

    Cela va coûter cher.

    Heureusement, Hurlevent regorge de prêteurs sur gage et autres marchands qui en réalité rachètent toutes sortes de choses. Une bonne partie de son larcin disparaît entre les mains rapides d’un homme aux manières brusques. Mais il a désormais de l’or local, qui achètera le retour à meilleure fortune de sa Maîtresse, et la sienne par la même occasion.

    A son retour, il paye le tailleur qui a rendu à sa Maîtresse l’apparence de la noblesse. Du moins à ce qu’il lui semble, si l’on ne regarde pas de trop près. La jeune femme est lavée, parfumée, habillée de dentelles à la mode du Sud.

    Il est prêt à lui faire rencontrer un homme dont il a entendu parler par le marchand qui lui a racheté ses bijoux. Il se regarde lui aussi, il a meilleure mine.
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:13


    Galvan et Arwaelyn



    En sortant de l’auberge, Galvan ne remarque pas que l’un des marins qui les a amenés jusqu’à Hurlevent le suit nonchalamment.

    Dans les ruelles étroites, il voit d’autres réfugiés comme eux, mais toujours dans leurs habits déchirés et ensanglantés. Ils ont le regard fermé de ceux qui commencent une lente descente aux enfers. L’un d’eux, un humain de Lordaeron vraisemblablement, les prend pour des seigneurs du Sud et leur demande à mi-voix une pièce pour manger ce soir. Arwaelyn hésite mais Galvan lui prend le bras et la fait passer devant lui.

    Deux ruelles plus loin, sans qu’ils s’en soient rendu compte, ils sont seuls. Les mendiants ont disparu. Galvan a à peine le temps de se retourner que l’autre bout de la ruelle est bloqué par un homme à l’air peu engageant. Un autre vient de l’autre côté. Galvan se baisse et tire sa lame de botte. Il la tient comme quelqu’un qui s’en est déjà servi pour faire autre chose que couper du fromage. Cela fait hésiter les deux hommes, mais pas longtemps. Ils tirent de longs couteaux eux aussi et sont rejoints par le marin que reconnaît Galvan.

    L’affaire aurait pu mal tourner, mais un sifflement retentit et les mauvais hommes, après avoir hésité une seconde disparaissent. La Garde, marchant au pas, passe sur la rue voisine. Galvan tire Arwaelyn par le bras et quitte au plus vite le quartier.

    Ils finissent par arriver sur une place ombragée. Des Dames en toilettes aux couleurs délicates et en dentelle marchent, la main sur celle d’hommes tout aussi bien tenus.

    Galvan demande à Arwaelyn de s’assoir sur un banc et de l’attendre sans s’éloigner.



    Galvan



    Les agents de Cour et autres entremetteurs allaient autour des malheureux comme des vautours prêts à déchirer une pièce de viande. Les prêteurs sur gage et les brigands travaillaient à leur labeur particulier du lever du jour jusques très tard dans la nuit.

    C’est en ayant appris les dispositions générales de la Cité que je fis la rencontre d’un agent d’une famille noble établie au Sud de Comté-de-l’Or mais assidue à la Cour des Wrynn. Je cherchai à l’intéresser au sort de la jeune Arwaelyn en lui narrant notre périple depuis le Royaume de Quel’Thalas.

    Je lui demandai en concluant mon récit si le Roi n’allait pas porter secours aux personnes nobles qui avaient fui le Nord.

    Après m’avoir regardé avec attention, il me fit valoir que les temps rendaient les gens durs et que le Roi devait s’enquérir de la guerre, laquelle allait sans doute mobiliser toute son attention.

    Par chance, la famille qu’il représentait était en intelligence avec l’un des Ministres du Roi, lequel pourrait sans doute examiner la situation de l’orpheline avec bienveillance.

    Mais même lorsqu’il parlait de cœur et de bienveillance, cet homme gardait la mine dédaigneuse des gens faits de rouages et de calculs. Cependant si le salut de ma jeune Maîtresse devait dépendre de personnes telles que lui, alors je n’avais pas le choix. Je le menai à Arwaelyn et l’entretien qui se déroula sous mes yeux, pour être déroutant, sembla déboucher sur une conclusion heureuse. L’homme nous fit loger à une auberge décente loin des quartiers fréquentés par les journaliers, les mendiants et les coupe-jarrets.



    Arwaelyn



    Longtemps se passe avant que Galvan ne revienne. Arwaelyn a le temps d’observer les gens autour d’elle. Ils lui font penser aux gens qu’elle rencontrait lorsqu’elle était page chez la Dame que connaissait son Père. Une princesse elfe.

    Galvan la protège, mais elle se sent de suite plus à l’aise en ce lieu, elle sait les usages de ces gens. Elle sait même reconnaître les rangs, les façons qu’il faut avoir. Certains de ces nobles font même des erreurs qu’elle relève mentalement en s’en amusant.

    Galvan a beaucoup voyagé avec son Père. Père le préférait à d’autres serviteurs parce qu’il n’avait pas les manières des « chiens de Cour » et savait sangler un harnais de voyage comme nul autre. Mais ici, Galvan n’est pas à son aise, il se comporterait mal, Arwaelyn le sait.

    Elle reçoit le salut d’un noble, de belle allure, qui s’étonne de la voir sans dame de compagnie ou sans protecteur. Elle lui rend le salut à la manière du Nord, avec distance pour lui montrer que son rang n’est pas aussi élevé que le sien. Ce qui est vrai d’ailleurs, elle le voit à certains signes.

    Douché, le jeune homme s’éloigne avec raideur. Arwaelyn a immédiatement conscience que de nombreuses personnes viennent de la remarquer ; dans un seul mouvement, elle aperçoit ceux qui la regardent par derrière leur ombrelle ou leur voile.

    Sur ces entrefaites Galvan revient avec un homme aux allures hautaines mais sans classe. Un serviteur, mais de personnes si puissantes qu’il en a adopté un ton supérieur. Un régisseur ou un agent de Cour. Des gens que n’aurait pas aimés Père.

    Galvan a des manières gauches avec lui ; il fait comme s’il n’avait pas le choix et devait traiter avec lui avant de traiter avec ses maîtres. Mais Arwaelyn sait qu’il ne traitera pas longtemps avec cet homme si elle ne prouve pas de suite qu’elle n’est pas une femme de chambre déguisée en princesse.

    L’homme la salue grossièrement. Un test. Elle l’ignore, au désespoir de Galvan qui s’apprête à tout gâcher. Elle rudoie alors Galvan pour la première fois de sa vie et lui ordonne de se taire. Galvan ouvre la bouche mais aucun son ne sort.

    L’homme, un instant suffisant, se ravise et la salue correctement cette fois, bien que ses manières laissent à désirer. Mais Arwaelyn met cela sur le compte de la grossièreté du Sud, et ses intonations le lui laissent percevoir. L’homme lui demande le nom de son père, presque avec douceur cette fois. Elle le lui donne, non sans laisser échapper involontairement un tremblement dans sa voix.

    Galvan n’en revient pas, mais quelques minutes plus tard, l’homme lui tend une bourse et lui indique une auberge convenable, dans le quartier.

    Dans la chambre de l’auberge, Galvan laisse exprimer sa joie. Ce retournement de fortune lui redonne de l’espoir. Il continue de parler comme si leurs ennuis allaient bientôt cesser. L’homme qu’ils ont rencontré est le serviteur de gens puissants, qui leur ouvriront les portes de la Cour. Le Roi lui-même tendrait une main charitable vers eux et il redeviendrait le serviteur d’une famille reconnue et prospère.

    Même la guerre ne lui paraît si mal engagée à présent. Il fait des plans, il s’écoute parler. Arwaelyn a envie de pleurer, mais ne sait pas encore trop pourquoi. Elle a déjà quatorze ans et pourtant, elle a l’impression d’avoir perdu trop tôt quelque chose.



    Arwaelyn



    Les jours suivants, l’homme qu’ils ont rencontré revient à l’auberge. Il paie leur pension auprès de l’aubergiste, qui le traite comme un homme important.

    Il parle un peu avec Arwaelyn, puis s’en va avec Galvan s’entretenir de détails concernant l’audience qu’ils préparent auprès d’un Ministre. Ils parlent de la Cour, des réfugiés du Nord, des rumeurs de la guerre, qui ne sont pas bonnes.

    Puis un jour, un vent de tempête semble s’abattre sur la Cité. Partout on ne parle que de la Légion Ardente, de Démons Majeurs et de fin du Monde. Les gens continuent cependant de vivre leurs petites vies habituelles, comme si ces nouvelles n’avaient pas encore de significations pour eux.

    Arwaelyn et Galvan cessent de recevoir la visite de l’homme pendant quelques jours, mais il reparaît au moment où l’aubergiste donne des signes d’impatience à leur égard.

    Galvan revient un jour de l’une de ses promenades avec cet homme et lui indique qu’ils logeront maintenant dans une vraie maison, que leurs protecteurs mettent à leur disposition. Des tailleurs s’occuperont d’elle, changeront ses robes ; elle ira sur les promenades parfois.

    Arwaelyn demande quand l’audience auprès du Ministre se tiendra et Galvan, après s’être troublé, lui dit que ses protecteurs s’occupent de ces détails à présent, que la situation est plus complexe qu’il ne se l’était figurée d’abord, mais que leurs difficultés sont finies.

    Arwaelyn s’alarme intérieurement, car jamais Galvan ne lui avait menti jusqu’à ce jour. Cependant, ainsi qu’il le lui avait dit, ils emménagent dans une gentille maison du quartier, elle a une femme de chambre et elle a Galvan, naturellement. Galvan qui lui cache quelque chose mais qui la sert comme si elle était la dernière personne qui le rattachait à la vie. Jamais il n’a été si prévenant et si serviable.

    Des rumeurs courent, qu’elle surprend lorsqu’elle va aux promenades. Des Seigneurs du Nord ont formé un Parti suite à la disparition de certains des leurs.

    Des intrigues à demi évoquées lui parviennent, qui lui font parfois sentir qu’elle est protégée, elle, quand d’autres ne le sont pas.

    A la Cour, on parle de la question de la légitimité des titres et des revendications des réfugiés, dont certains ont tout perdu à la guerre.

    Des Dames la saluent parfois, elle leur rend leur salut avec distinction, ainsi qu’elle l’a appris. Sa servante écarte les importuns et les curieux qui s’étonnent de la voir sans compagnie noble. Arwaelyn se doute que c’est cette curiosité qu’elle suscite qui fait qu’elle sort rarement.
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:15

    Galvan



    L’homme du Sud ne tarda pas à exiger de moi des entretiens, lesquels portaient sur Arwaelyn, ou plutôt sur la famille de ma jeune Maîtresse. D’abord confiant en leur bienveillance, je leur fis valoir les biens que possédait l’orpheline, auxquels nous pouvions sans doute ajouter ceux de la branche collatérale, consistant en moult titres et biens dans les terres orientales. Le fait que ces domaines fussent occupés par le Fléau ne semblait pas empêcher cet homme de noter chaque détail et j’en vins à concevoir que la famille qu’il représentait s’intéressait beaucoup à des détails qui m’avaient de prime abord semblé sans grande importance pour le bonheur futur de la jeune fille.

    A cette époque, d’autres rescapés parvenaient à atteindre Hurlevent, comme le Nord tout entier semblait s’effondrer devant le Fléau. Des disparitions étaient rapportées, des assassinats de ruelles semblait-il, mais qui visaient bien plus souvent des nobles que de simples réfugiés.

    Les exilés de noble lignage s’en émurent et portèrent des requêtes à la Cour. Ils étaient soutenus en cela par les rares parmi les leurs à posséder aussi des biens dans le Sud. Des partis se constituaient et une sorte de fièvre politique montait parmi eux.

    De prime abord je ne m’intéressai pas à ces humeurs nobiliaires, car cela me parut le propre des gens de haute naissance de se préoccuper plus de choses et de gloires passées que de gagner son pain en épousant le labeur des honnêtes gens.

    Bien que l’or de mes poches vînt d’un larcin, je me figurais que ma jeune Maîtresse était heureuse de m’avoir car je lui évitai de vivre dans la misère ou le danger, sans qu’elle n’ait besoin de tomber dans les cercles de clientèle des réfugiés, lesquels reproduisaient ou essayaient de reproduire à l’échelle du Sud leur société hiérarchisée.

    Des gens vivaient misérablement mais recevaient encore les hommages de personnes bien plus prospères, et tout allait ainsi. Mais les jeux de pouvoir et les fortunes de guerre redistribuaient rapidement les cartes.

    Cela je l’appris en retrouvant un serviteur qui avait jadis appartenu au Seigneur Rodric de Valnord. Son seigneur mort, il avait retrouvé du service auprès d’un autre noble, qui était un tenant du Parti Loyaliste, mais qui possédait des terres au Sud.

    Il me fit valoir que je ferais bien de demander à le servir plutôt que de m’embarrasser d’une miséreuse sans condition acceptable, qui n’allait pas tarder à tomber dans la nasse des sudistes qui plus est. Son langage reflétait bien la pensée de certains et je compris enfin que nos protecteurs se servaient ou n’allaient pas tarder à se servir d’Arwaelyn pour des affaires de Cour et de Nobles auxquelles je n’étais pas préparé.

    Je pris cependant le parti de la raison, du moins me sembla-t-il. Il me parut que le Nord ne serait pas relevé avant longtemps, quand bien même les Nobles pensaient pouvoir s’illusionner à ce sujet.

    L’avenir d’Arwaelyn me semblait appartenir au Sud à présent. J’acceptai bientôt de devenir la créature de nos protecteurs, lesquels me firent connaître qu’ils projetaient ni plus ni moins de faire épouser Arwaelyn à un de leurs fils. Lorsque je m’en étonnai, on me répondit que l’affaire était déjà engagée dans le meilleur intérêt de ma Maîtresse.

    Je compris enfin que leurs contacts avec l’homme d’État à la Cour des Wrynn n’avaient qu’une seule fin : non pas de faire octroyer quelque terre et une situation à Arwaelyn, mais de se faire reconnaître comme tuteurs légaux de la jeune fille.

    Pour ce faire, ils faisaient valoir tout le bien qu’ils faisaient à la jeune fille, laquelle était désormais entretenue à leurs frais dans la cité de Hurlevent, avec des serviteurs et un logement. Ils avaient argué de leur désintéressement et de l’état orphelin d’Arwaelyn, ainsi que les dangers qui menaçaient une Dame dans les circonstances actuelles.

    De connivence ou simplement dupé par ces gens, le Ministre s’apprêtait bientôt à leur reconnaître le statut de tuteurs. Nul doute que les tuteurs avaient déjà choisi le futur époux de leur protégée.

    Qu’aurais-je pu faire pour aller contre ces puissants ? L’intérêt de ma Maîtresse n’était-il pas au contraire que je laisse les choses aller dans ce sens ? Ces seigneurs étaient prospères sinon puissants à leur manière. Ils avaient des vignes au Sud, des bénéfices de mines, des revenus et des obligations royales. Ils étaient d’authentiques potentats locaux, qui sauraient protéger Arwaelyn des intrigues que l’on ourdissait contre les réfugiés du Nord qui osaient exprimer des avis contre la Cour du Sud.

    Quel autre chemin Arwaelyn aurait-elle pu prendre alors ? Celui de ces quelques miséreux, intrigants et rêveurs qui pensaient encore pouvoir rapidement recouvrer leur grandeur, critiquant les opérations de guerre mais impuissants à y participer vraiment ? Des seigneurs qui conservaient leur indépendance Nordiste comme leur dernière vertu, mais qui en réalité ne faisaient que la monnayer au meilleur prix ?

    Je ne pouvais de toute manière pas faire de choix, ignorant comme je l’étais de la politique. Arwaelyn ne me semblait pas prête à prendre son destin en main. Elle avait tant à perdre en s’opposant à ses protecteurs !

    Mais je me rends compte que je me défends encore contre l’aveu du plus impardonnable de mes crimes. Ma confession resterait incomplète si je taisais ce qui restera la raison de mes tourments. Car mon âme ne connaîtra pas la paix tant que personne ne dira à Arwaelyn que son serviteur, oublieux du dernier commandement de son Maître, finit par vendre celle qu’il devait protéger à ceux suffisamment riches et puissants pour l’acheter. Peu importe en vérité que je n’y gagnai rien en échange.

    Car jusqu’à la fin, je ne rendis pas compte à Arwaelyn des objectifs poursuivis par ses protecteurs, ni le danger qui pesait sur sa liberté.

    Même lorsqu’Arwaelyn me commanda d’aller dans le Nord chercher quelle avait pu être la fin de son Promis, auquel elle était liée par la parole de son défunt Père, jusqu’au jour même où je partis pour Menethil, je ne lui révélai rien. Je savais pourtant bien que mes nouveaux maîtres n’attendraient pas mon retour pour mettre leur plan à exécution. Mais je préférai partir sans rien dire, comme un voleur.




    Arwaelyn



    Un jour, Galvan vient avec elle lors de l’une de ses promenades. Il l’accompagne en faisant des remarques maladroites sur sa toilette, la coiffure des Dames du Sud. Arwaelyn l’observe à la dérobée, cherchant à connaître la raison de sa compagnie lors d’une activité qu’il ne goûte guère d’habitude.

    Sur le banc, elle regarde comme à l’accoutumée les promeneurs. Passe tout un équipage de serviteurs, tous parés avec magnificence. Leurs maîtres reçoivent de nombreux saluts, qu’ils rendent selon leur rang, mais avec une hauteur qui amuse Arwaelyn. Elle a l’impression d’assister à un défilé.

    Cela en est d’ailleurs un. C’est comme un signal que reconnaît Galvan, car il se tourne vers elle et lui dit d’un air qu’il veut naïf mais qui est préparé : « que voilà de fiers Seigneurs ! »

    Arwaelyn s’étonne : « Eh quoi ? Allons Galvan, ils paradent comme des coqs, ils inspirent le dédain. Père les aurait détestés. Les maîtres comme les serviteurs. »

    A la réflexion, elle se souviendrait longtemps de l’air peiné de Galvan, qui se mordit les lèvres, le regard lointain.

    « Pardonnez-moi Galvan, je sais que Père vous manque aussi cruellement. Nous faisons parfois comme si nous n’avions pas vécu les tourments des personnes du Nord, mais la peine est toujours sous la surface. »

    Mais Galvan s’était récrié : « Vous n’avez pas à vous excuser, Arwaelyn ! Je ne suis que votre serviteur, pardonnez ma sottise et mon oubli ! »

    Elle avait été surprise par l’attitude de Galvan, mais il ne reparla plus d’aller en promenade avec elle par la suite. Et elle ne reparla plus de Père.

    Du moins jusqu’au jour où l’homme qui représentait leurs protecteurs reparut. Galvan s’entretint avec lui dans la rue et peu de temps après l’homme était reparti sans monter la saluer. Mais Galvan avait l’air embarrassé lorsqu’il remonta dans leur appartement. Il semblait tourner et retourner des phrases dans sa tête. Arwaelyn le connaissait si bien à présent. Elle pouvait presque lire ses états d’âme dans son cœur comme un livre ouvert. Il luttait contre des aspirations contraires.

    Puis il parla enfin : « Ma Dame, Arwaelyn, vos bienfaiteurs ne sont-ils pas aimables de vous avoir secouru quand d’autres ne l’étaient pas ? Ne méritent-ils pas notre reconnaissance ?

    _ Bien sûr qu’ils méritent notre reconnaissance ! Dès que la guerre sera finie, nous les récompenserons en leur versant une partie significative de nos revenus. Des cœurs si purs, si désintéressés ne sauraient manquer d’être récompensés. Leur délicatesse et leur modestie les a même dissuadés de se faire connaître de moi, qui suis pourtant leur obligée.

    _ Vous ne comprenez pas, Arwaelyn… ils n’ont jamais eu en tête ce genre de récompense…

    _ Naturellement, comme il convient à des âmes pures…

    _ Non, Ma Dame ! Ce n’est pas l’or qu’ils veulent, ils en ont déjà bien assez avec leurs biens dans le Sud. Ce qu’ils projettent, c’est d’unir leur lignée avec la vôtre
    . »

    Sous le choc, Arwaelyn ne comprit pas les paroles de son serviteur.

    _ « Unir leur lignée avec la notre ? Mais, Galvan, notre lignée est déjà presque éteinte, avec qui… ? Oh !

    _ Vous comprenez à présent ? Rien n’est gratuit, Arwaelyn ! Votre sécurité, votre confort, tout cela vous aurait été refusé si…

    _ Si quoi ? Si nos bienfaiteurs n’avaient songé à me faire épouser un de leurs fils ? Galvan, je ne suis peut-être pas au fait des usages du Sud mais je n’ai pas encore quinze ans…

    _ Je le sais, Maîtresse, mais ils peuvent attendre, du moment que vous accepteriez de signer un contrat de fiançailles, un acte qui vous engagerait…

    _ Mais, Galvan, vous savez bien que c’est impossible, Père a du vous le dire à vous entre tous… Je suis déjà promise à un mien parent, qui vit dans les terres orientales. Je l’ai même rencontré, Dieux, un soir à la Maison de Mer, Père m’avait fait rentrer de chez ma Dame…

    _ Mais… maîtresse… il est sans nul doute mort à l’heure actuelle, et c’est le mieux qu’on puisse lui souhaiter…
    »

    Arwaelyn eut l’impression d’avoir été giflée. Elle pâlit, sa voix tremblait quand elle reprit la parole : « Galvan, avant de sortir de cet appartement, vous allez m’écouter attentivement. Père m’a parlé avant de mener ses hommes à un combat dont il savait qu’il ne reviendrait pas. Avant d’aller mourir, il ne m’a fait jurer qu’une chose : de respecter l’engagement qu’il avait pris pour moi envers mon parent, sur les terres orientales. Je mourrai plutôt que d’épouser un autre que celui à qui je suis promise, celui que j’ai rencontré au domaine de Père. Maintenant, allez, vous m’indisposez. »

    Consterné, Galvan sortit sans un mot, sans doute retrouver l’homme de ses protecteurs, Arwaelyn n’en avait cure et versa de nouvelles larmes en souvenir des morts et du Nord.

    « Par delà les Terres des Hommes de Paix… Père, entendez ma prière… » murmura-t-elle.




    Arwaelyn



    Lorsque Galvan reparut à la maison, Arwaelyn le fit mander par sa servante.

    C’est avec des manières incertaines qu’il se présenta à elle.

    Arwaelyn lui parla comme une maîtresse parle à son plus fidèle serviteur : « Galvan, tu m’as sauvé lorsque le Fléau a détruit nos biens à la Maison de Mer. Tu t’es battu pour me mettre en sécurité, ainsi que mon Père te l’avait ordonné. Tu as toujours servi ma famille avec loyauté. »

    Galvan s’agenouilla devant elle en murmurant : « Maîtresse… ».

    Arwaelyn reprit : « Je vais te confier une mission. Toi seul peux me sauver encore une fois. Je veux que tu ailles dans le Nord, Galvan. Tu le dois pour mon salut. Tu iras dans les terres orientales en quête de mon Promis… ne m’interromps pas Galvan ! Tu iras dans les domaines de l’Est, quelque en soit le prix. Là-bas, tu chercheras ce qu’il est advenu de mon Promis. S’il s’avère qu’il est mort… s’il s’avère qu’il… - Arwaelyn raffermit sa voix - … n’est plus des nôtres, alors je consentirai à unir ma lignée à celle de nos protecteurs. Mais dans le cas où il vivrait encore et où il voudrait encore de moi, qui ai tout perdu et me retrouve sans dot ni avantage, je t’ordonne de le servir et de le mener à moi par tous les moyens qu’il te sera possible d’utiliser. J’ai dit. Va à présent. »

    Arwaelyn se retourna et Galvan, en prenant congé d’elle ne vit pas ce qu’il lui en avait coûté. A présent, elle serait vraiment seule et abandonnée de tous.

    Que les Dieux lui viennent en aide ! Elle pressentait qu’elle aurait sous peu besoin de leur protection, qui serait sans doute plus lointaine mais plus désintéressée que celle des Seigneurs du Sud.
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:17



    Galvan



    Je quittai donc ces terres, encore indécis par le chemin qu’il me fallait prendre, lorsque je fis une rencontre qui me parut sur le moment salvatrice au milieu de cet enfer. Je tombai d’épuisement à présent, mes pieds trainant sur le sol à chaque pas lorsque j’entendis le bruit des fourrés déplacés avec habileté, comme si un chasseur se mouvait dans les champs autour de moi.

    Ce n’étaient pas les manières des morts du Fléau aussi je lançai d’une voix rendue rauque la peur un « qui va là ? » en brandissant la pioche que j’avais gardé.

    Un homme se releva dans les champs, puis deux autres. Ils portaient une chemise d’un vague blanc sur laquelle était grossièrement peint un signe rouge. Ils semblaient farouches et l’un d’eux me visait avec un arc de chasseur.

    Le premier me demanda d’une vois tendue : « Qui es-tu, vieillard, pour oser traverser les terres du Mal sans compagnie ? Un sorcier nécromant, un ami des démons sans nul doute ? »

    Il avait tiré son épée en s’avançant vers moi, comme décidé à me la passer à travers le corps. Et nul doute que mes bégaiements effrayés ne m’eussent pas sauvé la vie si celui qui tenait l’arc n’avait baissé subitement son arme et ne m’avait à son tour adressé la parole :

    _ « Maître Galvan ? Est-il possible que ce soit vous ? »

    Le premier homme se tourna vers l’archer et lui demanda, surpris : « tu connais ce sorcier, Nethen ? Comment cela se fait ? »

    Nethen, je me souvins en un instant d’un garçon de ferme que j’avais connu avant d’entrer au service de mon Maître. Lui aussi venait des terres du domaine de l’Est. Il avait peu ou prou mon âge lorsque je m’étais fait prendre à braconner. Je l’avais fort peu revu depuis ce jour, mais il ne me semblait pas avoir rencontré de plus cher ami depuis des années.

    _ « Nethen, oui, c’est moi, Galvan ! Les malheurs et la souffrance me donnent piètre allure, mais c’est toujours moi. Je cherche un refuge car je suis las d’errer sur ces terres… »

    Nethen réussit à dissiper un peu la suspicion des autres hommes. Je compris qu’ils venaient d’un campement plus à l’Est et qu’ils avaient des relations avec La Main de Tyr, qui n’était point tombé aux mains du Fléau.

    _ « Pas encore… » dit d’un air sombre celui qui m’avait pris tantôt pour un sorcier ou un ami des Démons.

    _ « Tais-toi donc, Harvan, ces terres ont des oreilles et tu ne dois pas prononcer des paroles sacrilèges sous peine d’attirer les maudits ou le malheur » le reprit avec crainte Nethen.

    En quelques instants j’en appris long sur leur compagnie. Ils se faisaient appeler les Combattants Écarlates, en référence à la couleur de leur insigne. De puissants Seigneurs et des Nobles de Lordaeron avaient réunis les survivants des régions avoisinantes et les avait recueillis à La Main de Tyr, qui était en ces lieux la plus puissante place du Nord, du moins le prétendaient-ils.

    Je vis qu’ils vivaient dans la crainte et les superstitions propres à leur condition. La peur les emprisonnait et chacun vivait dans la suspicion des autres.

    Je compris que je devais me montrer prudent lorsque je leur fis le récit de mon périple. Je leur tus mon passage dans le Sud car ils semblaient détester les gens qui avaient fui le Nord pour trouver refuge au Sud. Des déserteurs, ainsi les appelaient-ils… qu’avaient-ils déserté, ces enfants, ces vieillards et ces femmes ? Quelle armée avaient-ils abandonné ? Quel royaume quand le nouveau Roi avait lui-même voué son peuple au Mal et tué son propre père pour lui succéder ? Même Nethen, que j’avais connu insouciant pour avoir partagé quelques courses dans les bois à ses côtés me semblait obnubilé par les raisonnements que prêchaient leurs nouveaux Seigneurs.

    Mais les trois hommes me firent taire car il était temps de rentrer à leur campement. La nuit tombait très vite sous les nuées pesteuses. Seules les bénédictions et les prières les protégeaient du Mal et ils devaient rentrer au plus tôt pour me présenter à un officier, qui déciderait que faire de moi.

    Je m’alarmai de leurs explications, pourtant j’avais besoin de me reposer dans la sécurité même relative d’un camp d’hommes d’armes.

    Il s’avéra que le campement en question était fort modeste, mais suffisamment gardé pour me faire éprouver un semblant de sécurité. L’officier se révéla être un homme au raisonnement sûr et plein de bon sens. Après m’avoir jaugé et m’avoir fait examiner pur la forme par ce qui semblait être un prêtre, qui hocha la tête avec indifférence, il décréta que je ne pouvais être un ami des Démons mais bien plutôt un pauvre hère qui avait eu beaucoup de chance de les rencontrer. Il me permit de dormir avec eux et le lendemain me fit partir avec un de ses hommes qui devait porter une missive à La Main de Tyr. Il me dit sans sourire de garder ma pioche, car j’en aurais sans doute l’usage là-bas.

    La Main de Tyr était fortement gardée. Ici et là, je notai des changements. Les murs étaient en train d’être relevés, des travaux de fortification hâtifs mais solides étaient en cours. Les paysans qui avaient trouvé refuge dans les murs de la Cité travaillaient sans relâche sous les prêches de prêtres et de sergents.

    Partout des gens en armes s’exerçaient au maniement de l’arc et de l’épée. J’étais entré dans une caserne et un camp de travail à la fois. Le bétail était autant sous la garde de soldats que des fermiers.

    Le soldat me confia à un homme robuste mais à qui il manquait une jambe, emportée par une goule selon lui. Il se soutenait par deux béquilles et s’esclaffa de me voir arriver avec une pioche déjà en main. Depuis son infirmité il avait en charge l’affectation des oisifs aux travaux communs. Sans vraiment me laisser le choix, il m’affecta aux travaux du port à l’Est, que l’on agrandissait pour sauvegarder de la colère des flots des navires de guerre, encore mouillés au large faute d’espace suffisant sur les quais. Les « oisifs » y étaient affectés en priorité.

    Encore exténué par mon périple, je dus aider à des travaux de creusement et de déchargement de sable et de cailloux ; ces matériaux seraient eux-mêmes utilisés pour élever encore les murs de la Cité.

    Je mangeai le soir ce qui me sembla le meilleur gruau du monde et bus de l’eau claire, aux lumières des braséros. Les conversations qui se faisaient à voix basse, bien que les Morts fussent tenus en respect par les hautes murailles de la Cité à l’Ouest, me rappelaient ma vie dans le Nord. Le courage de ces hommes qui n’avaient pas fui leur pays m’impressionnait.

    Bien que je n’oubliai pas le véritable but de mon périple dans le Nord, je résolu de rester en ces lieux le temps de reprendre des forces avant de repartir vers Quel’Thalas. J’allai rester bien plus longtemps en vérité que je ne le prévoyais d’abord et je ne sus pas les tourments qu’allait endurer la jeune Arwaelyn loin dans le Sud.
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:26

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    Une lumière minuscule refît surface, et bientôt la chandelle brûlait de nouveau, lançant ses lueurs tremblotantes dans la cale.

    Rälkezad sembla réfléchir quelques secondes puis recommença à tracer des lettres sur le vélin.

    Aujourd'hui, lorsque je ferme les yeux, je me vois courir en marge d'une route boueuse le long des forêts des Pins Argentés. Peut-être est-ce parce que je n'ai pas couru depuis longtemps, prisonnier comme je le suis de ce vaisseau depuis ce qui me semble une éternité. Mais laissez-moi vous conter ce souvenir de course et de terreur...



    Nous étions quatre à courir de concert le long de la sinistre route qui traverse la Forêt des Pins Argentés, par un soir de fin d'été. Mais que veulent dire les saisons dans cette contrée maudite, coincée entre l'Ancien Royaume Scellé de Gilnéas (ndlr : les faits relatés par le Réprouvé semblent dater de l'époque d'avant la Chute du Mur de Grisetête, contemporaine du réveil d'Aile de Mort ; eh oui, cela date !) et les Clairières de Tirisfal ? Les branches des arbres griffaient nos pièces d'armure et nos faces, de temps en temps la lune bondissait entre deux nuées et faisait luire en un éclair nos lames, que nous tenions hors du fourreau.

    Il avait plu, et nos bottes laissaient de pesantes marques dans la boue, les buttes étaient rendues glissantes et traîtres. L'un de nous glissa en escaladant l'une d'entre elles. Il aggrippa la boue avec ses ongles, laissa échapper un râle épuisé mais nous rejoignit en deux bonds agiles. Le sang des fils Hakkari coulait dans ses veines, et il serait sans doute le dernier d'entre nous à s'écrouler dans la course mortelle que nous avions engagé.

    Derrière nous, les Worgs et les Loups d'Arugal nous pistaient, renifflant et hurlant dans la nuit pour coordonner leur chasse.

    On dit parfois que les marins font de mauvais coursiers, mais nous courrions alors comme si le Démon était assis sur nos épaules et ricanait à nos oreilles.

    Nous avions pourtant été prévenus par les augures que nous réveillerions les maudits à quatre pattes qui renifflaient chaque nuit au Mur de Grisetête, défendant l'entrée du Royaume de Gilnéas. Nous avions pourtant tenté de passer outre le Mur. Nous avions maintenant la meute du fils d'Arugal au train.

    Notre tentative pour trouver refuge au village du Bois-du-Bûcher fut vaine, et je ne sais qui de nous ou de nos poursuivants les villageois eurent le plus peur, le fait est que nous trouvâmes porte close. Par une nuit comme celle-ci, les villageois passaient leur nuit transis par l'effroi, des familles entières serrées autour de l'âtre, les hommes la fourche prête, les femmes les couteaux sortis.

    L'un de nous les avait maudit et avait craché sur l'une des portes, mais il n'était pas temps de forcer l'entrée des maisons barricadées, d'autant plus que la plupart des âmes de Bois-du-Bûcher sont déjà maudites. Nombre des villageois devaient déjà appartenir à ceux qui nous chassaient ce soir. Nous étions repartis très vite, car à présent il nous fallait doubler les funestes murailles d'Ombrecroc avant que les hurlements ne donnent l'alerte. Si les portes de ce Fort s'ouvraient avant notre passage, alors nous aurions la route coupée par les lycanthropes.

    Insensés que nous étions ! Les âmes tourmentées d'Ombrecroc étaient déjà de sortie, et le carrefour nous était interdit. Ce n'est qu'en nous rapprochant encore plus de l'épicentre du Mal qui rongeait ce pays que nous évitâmes le guet-apens. Encore faut-il indiquer que notre détour n'empêcha pas les poursuivants de rallier ceux qui s'étaient embusqués, pour nous donner une chasse encore plus féroce.

    Si nous tenions le rythme insensé de la course, il nous faudrait encore éviter la Ferme des Olsen, et l'horreur qu'elle abritait désormais. Nous n'osions pas nous regarder, car il semblait que ce serait chose impossible que de parvenir tous sains et saufs au Sépulcre, le bastion Réprouvé, notre hâvre.

    C'est alors que surgit de la route un cavalier, ou devrais-je dire une cavalière. Sa monture se cabra devant le Hakkari qui s'apprêtait à désarçonner l'inconnue. Mais elle s'écria dans le langage de Fossoyeuse : "Qui va là ? Qui met en émoi les âmes maudites de la Forêt cette nuit ? Courez, aussi vite que vos jambes pourront vous porter, je vais couper votre course et essayer d'attirer ces fils de chiens qui donnent de la voix ! Allez !"

    Je n'eus pas le temps de la remercier ou de la prévenir que je repartais dans les bois avec mes trois compagnons. Ce soir, les sorciers renégats qui hantaient habituellement les parages avaient disparus, de même que les fauves. Qui sait ce que ressentent les bêtes les plus dénaturées de ces contrées lorsque la nuit appartient à un Mal plus horrible encore qu'elles ? Sans doute les plus endurcis des ours tremblaient-ils dans leurs tanières d'une peur abjecte, étouffant dans leurs entrailles les gémissements de terreur et rendant fixe leur regard.

    Puis nous la vîmes au loin. La ferme des Olsen. Nul ne savait au juste ce qu'étaient devenus les Olsen, peut-être flairaient-ils eux aussi les traces que nous avions laissées dans la boue de la forêt. Ma face devait refléter l'horreur que je ressentais car mes autres compagnons portèrent leurs regards au-delà de la lisière des arbres : la ferme était devenue une tanière puante et frénétique de lycanthropes, tous plus féroces et dénaturés les uns que les autres. Ils grattaient la terre et hurlaient à la lune leur démence, semblant prendre part à quelque conversation crépusculaire avec d'autres mondes.

    Non loin de là, un hurlement jaillit et les griffus habitants de la ferme tournèrent leurs yeux vers les fourrés dans lesquels nous étions cachés. Nous étions découverts.

    Il n'était plus temps de fuir, nous devions vendre chère nos peaux, comme cinq lycanthropes fondaient sur nous. Nous perdîmes notre compagnon Hakkari, bien qu'il brisât lui-même l'échine de deux créatures. Durant le combat, je fus mordu cruellement au bras, bien que personne n'eût le temps d'y prendre garde.

    La route vers la ferme nous était ouverte, mais au loin nous voyiions la route du Sépulcre se fermer : une partie de nos poursuivants avait silencieusement contourné notre position et venait de nous couper de tous secours. En fin de compte, j'en conclus aujourd'hui que la cavalière n'avait pas réussi à détourner de nous la meute. Je ne pus jamais retrouver ses restes pour lui offrir une sépulture, et je ne connus jamais son nom.


    Cependant je ne m'autorisai pas sur l'instant ces pensées, ne songeant qu'à atteindre le bâtiment le plus important de la ferme. Nous dûmes fendre les os de trois autres créatures, et perdîmes un autre de nos compagnons, que nous laissâmes en pâture aux bêtes qui surgissaient maintenant de tous côtés de la clairière.

    Une fois à l'intérieur, nous nous ruâmes vers le premier étage et pendant que j'attaquais l'escalier à la hâche, mon unique compagnon renversait des meubles pour condamner l'une des pièces. Je ne parvins pas à condamner l'étage à temps, car mon compagnon s'apprêtait déjà à fermer la porte et à me condamner à rester au-dehors : il balbutiait des excuses quand son regard devint fixe. Une mousse rosée lui sortit de la bouche pour lui couler au menton.

    Il fut littéralement éjecté par-delà la porte qu'il essayait de refermer sur moi et la porte s'ouvrit aussitôt en grand : un humain se tenait sur le seuil, son poignard souillé à la main. Il me fît signe d'entrer avec un rictus, et son sourire laissait voir ses longs crocs.

    Je bondis sur la porte et entrai, les loups sur les talons. L'humain ou quoi que cette créature pouvait être se précipita pour m'aider à barricader la porte.


    Nous passâmes des heures à nous arc-bouter sur le panneau de bois, contrant chaque charge des lycanthropes. Nous dûmes couper les mains et les bras de ceux qui lacéraient la porte de plus en plus ébranlée. Notre combat commun se fit en silence, seuls nos grognements répondaient à ceux des lycanthropes.

    Je ne sais plus aujourd'hui quand au juste le siège de la ferme prît fin, sans doute aux premières lueurs du jour. Je me souviens simplement m'être laissé glisser contre le mur, épuisé, côte à côte avec le maudit. Les fenêtres condamnées laissaient passer de fins rais de lumière qu'il évitait avec soin. Il semblait aussi las que moi.

    Je me souviens également que ce fut ma première rencontre avec une forme de Mal encore plus noire que celle des lycanthropes. Et que cette nuit-là, un Mal me sauva d'une autre forme de Mal. Le jour nous sépara aussi sûrement que nos natures étaient dissemblables. Aux pieds des escaliers, dans la pièce principale, il y avait une lanterne, dont le réservoir était encore plein. Je vis en un éclair de pensée le bâtiment en flamme avec un être contre-nature piégé à l'intérieur, condamné par les rayons de soleil au zénith. Puis je regardais mes mains décharnées, dont les ongles avaient été séparés de leurs doigts par la putréfaction depuis longtemps. Ce jour-là je soldai aussi mes comptes avec la Nature.


    On salua mon retour au Sépulcre, plus encore lorsqu'on apprît combien la nuit avait été dure pour moi. Je laissai dans l'ombre l'histoire du maudit, redonnant un peu de gloire à mon dernier compagnon.

    Mais comme vous vous en doutez, je n'allais pas tarder à recroiser la route des créatures de la nuit, bien après avoir cessé d'appartenir complètement à Fossoyeuse Mais cela participe d'un autre souvenir que je conterai si j'en ai le temps.


    Rälkezad releva la tête ; dehors, le blizzard tempétueux s'attaquait à chaque recoin du navire, malmenant comme une vulgaire coquille de noix le vaisseau. Le Chevalier de la Mort referma son livre et s'adossa à son siège dans un geste coutumier. Mais il était loin de la sécurité familière de l'auberge de Baie-du-Butin, bien loin...

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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:28


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    Combien de temps avait pu passer depuis la dernière fois que le Réprouvé avait tenu la plume ? Il n’aurait su le dire lui-même, car le navire, dans un état avancé de délabrement avait requis de nombreuses heures de réparation. Il avait encore fallu calfater les voies d’eau et pomper dans la cale, de l’eau croupie jusqu’à mi-taille ; mais l’état du navire lui permettait à présent de se remettre à écrire.

    Sa seule occupation se trouvait dans le secrétaire. Il en ouvrit le tiroir central, récupéra un carnet aux feuilles de fin vélin à moitié recouvertes d’écritures. Il prit alors une seiche dans un bocal suspendu au plafond de la cale, et commença à la presser au dessus de l’encrier. L’animal exprima un liquide violet au fur et à mesure qu’il était pressé.

    Le Réprouvé fouilla encore l’un des tiroirs de droite et en sortit un petit flacon. Après avoir dosé quelques gouttes de ce flacon dans l’encrier, il le remua délicatement avec une tige d’algue. Il huma alors l’encrier et hocha la tête d’un air résigné, prêt à écrire de nouveau :


    Si je ne conserve quasiment aucun souvenir de ma première mort, il n’en va pas de même pour la deuxième. Il faut croire que l’esprit se remet plus facilement d’une épreuve qu’il a déjà vécue, car ma deuxième mort ne fut certes pas moins violente que la première.

    Peut-être est-ce parce que le temps de ma dernière heure semble approcher que je souhaite la raconter, car mes instants d’écriture sont bel et bien comptés.


    Le Réprouvé jeta un regard sur le reste de la cale, où flottaient de nombreux débris et objets de navigation, emmêlés dans des hamacs pourris et des algues filamenteuses. Il avait les pieds dans l’eau jusqu’aux chevilles.


    Je suis seul désormais, mes deux derniers compagnons d’infortune ont été emportés sur le pont par les flots en furie, comme ils essayaient d’amener notre dernière voile. Je ne pourrais plus diriger ce vaisseau, quand bien même je connaîtrais le bon cap.

    Étonnamment, je ne me sens plus inquiet. La fin semble écrite, mais je peux encore rédiger quelques pages sur ce cher carnet…


    Le Réprouvé sembla un instant replonger dans des souvenirs agités.


    A cette époque je servais la Nation Réprouvée, qui avait requis mes services pour faire entrer un parti de francs-tireurs dans les Maleterres de l’Est, que j’avais bien connues de mon vivant.

    Par mes preuves de dévouement à la Dame Noire, j’avais eu l’occasion de prendre le commandement de ce parti ; un commandement sans grande importance stratégique mais comportant de grands risques personnels, je peux le dire à présent.

    J’avais constitué un parti de véritables Trompe-la-mort, tous originaires des contrées orientales soumises par le Fléau. Tous nous ressentions une haine particulière contre ceux qui nous avaient massacrés de notre vivant.

    Nous avions en outre beaucoup de mépris pour ces morts-vivants qui nous paraissaient sans intelligence parce que privés de leur liberté.

    Dans ces territoires si puissamment tenus par le Fléau, mon escadron n’était guère conséquent mais il était adapté à la guerre de mouvement que nous menions face à l’Ennemi. Nous menions nos combats dans les bois flétris des Maleterres, prompts à engager les morts, prompts à nous dégager lorsqu’ils tentaient de nous prendre en tenaille. Nous avions acquis une grande expérience de ces combats-là, et la hardiesse conférée par une confiance grandissante rendait nos mains meurtrières.

    Nous n’étions pourtant guère plus que des guêpes, piquant sans cesse un ennemi trop puissant pour s’en ressentir vraiment et trop insensible pour réagir efficacement. Du moins en étions-nous venus à nous en persuader.

    Mais nous finîmes par attirer l’attention sur nous, car nous fumes attirés dans un piège que seule une intelligence retorse avait pu concevoir.

    Nous avions une fois de plus fondu sur un convoi de charogne escorté par une quinzaine de morts titubants et une abomination, le long de la route qui relie Peste-Bois à Val-Terreur.

    Nous avions mis le feu au dernier des corps démembrés et nous nous apprêtions rapidement à regagner les bois lorsque nous les vîmes sortir des bosquets environnants.

    Ils étaient seulement quatre, mais nous pouvions ressentir leur froide malveillance. Ils avaient attendu la fin des combats pour que nous sortions tous à découvert et c’est ce que nous avions fait. Ils n’étaient que quatre, mais de la sorte que nous évitions toujours : point lents à se mouvoir, ni bestiaux, et avec une certaine intelligence, que nous devinions à contrecœur et avec répugnance.

    Les miens voulurent cependant les affronter, sûrs de leur victoire et de leur nombre. Je n’étais moi-même pas en retrait, l’esprit enflammé par notre victoire encore fraiche.

    Je ne compris notre erreur que lorsqu’ils furent encore à quatre contre seulement six de notre côté ; nous étions désormais dos à dos, pitoyable cercle de défense contre ces combattants invincibles.

    Ils semblaient prendre plaisir à cette fin de combat, alors qu’une terreur abjecte nous comprimait le cœur. Nous le percevions dans leur façon de nous regarder et de tourner autour de nous, semblant nous inviter, les uns après les autres, à oser les affronter.

    Et en effet l’un des nôtres rompit le cercle et se rua sur celui qui était le plus proche de lui et qui semblait se désintéresser du combat plus que les autres. Mais l’ennemi fit soudainement volte-face et décapita notre compagnon d’un geste fulgurant.

    Glacés et désespérés, nous les vîmes reprendre leur ronde autour de nous, mimant une sorte de danse macabre cadencée et moqueuse. Nous étions condamnés, nous en étions certains à ce moment. C’est alors que l’un d’eux s’arrêta et glapit ces paroles :

    _ « Nous sommes las d’attendre et vous gâchez notre jeu, petites guêpes immobiles ! Ne voyez-vous pas que vous êtes encore cinq contre nous quatre ? Ne voulez-vous pas voler encore et vous échapper ? Nous laisserons une guêpe sur les cinq reprendre son vol, mais il faudra qu’elle soit rapide, oui, il faudra qu’elle soit agile, pour passer entre les rets de la Mort.

    _ Ne l’écoutez pas !
    » criai-je en retour.

    Mais mes quatre compagnons étaient au-delà de toute raison et comme des insensés ils avaient rompu le cercle pour tenter de fuir, comme l’avait suggéré le Fléau par la voix de son combattant.

    Quatre têtes volèrent au même instant et le même Non-Mort se tourna vers moi :

    _ « Tu n’as même pas saisi ta chance, petite guêpe… pour celui qui prétendait commander votre bande, voilà une triste fin, voir tomber tous ses combattants contre quatre stupides Non-Morts, si lents et si stupides… »

    Sa voix moqueuse et glaciale me montrait combien nous leur paraissions également faibles et stupides. A cet instant, mes forces et ma volonté m’abandonnaient, leur puissance m’avait vaincu.

    _ « Regarde-le, il ne lève même plus sa lame, il a déjà abandonné… » notait l’un de ses compagnons.

    _ « Oui, il semblerait… oh, vraiment, c’est décevant, je pensais garder le meilleur pour la fin. Tu ne danseras pas un peu pour moi, petit insecte, même pas un petit peu ?
    »

    Oui, à ce moment, j’étais prêt à abandonner. Je baissai la tête, les bras le long de mon corps, tenant à peine mon épée dans la main droite. Ils avaient montré que toute résistance était inutile, lorsque nous étions encore à quatre contre un et j’étais désormais seul contre eux quatre. Mais l’un des combattants qui n’avait pas encore pris la parole dit :

    _ « Bats-toi ! »

    Le ton était cinglant et je levai ma lame par pur réflexe au moment où le premier des leurs portait négligemment un coup pour séparer ma tête de mon corps. Je crois bien que l’ichor fit battre mon cœur trois fois, alors qu’il n’avait jamais battu depuis mon réveil dans la crypte des fossoyeurs. J’enchainai ma feinte favorite à une vitesse foudroyante et c’est la tête de mon ennemi qui tomba à terre lorsque mes pieds touchèrent de nouveau le sol.

    D’abord interdits, deux des trois autres combattants se portèrent silencieusement à ma rencontre et après avoir esquissé une vaine tentative pour parer leurs attaques, je me trouvai embroché par leurs deux lames qui ressortaient par ma poitrine et mon dos, luisantes de mon ichor. Tremblant de douleur, je restai debout, davantage à cause des lames que tenaient fermement mes deux ennemis et qui me transperçaient de part en part que grâce à mes genoux sans force.

    Le troisième combattant se rapprocha lentement de moi et dit : « il tient encore la garde de son arme, comme s’il allait passer dans l’au-delà avec. Mais il se trompe, car il restera sur ce monde tant que notre Roi aura besoin de lames, tant que ses membres pourront plier et souffrir, tant que la Guerre fera rage et que les Nations ennemies résisteront à Sa Volonté.

    Après peut-être, il connaîtra la paix de la Vraie Mort, si notre Roi le permet
    ».


    Ce jour là, je mourus pour la deuxième fois, des mains de combattants qui appartenaient à un Ordre que j’allais intégrer et servir de toutes mes forces, mais non point de toute ma volonté.

    Cependant narrer le récit des batailles que je menai pour le Roi-Liche prendrait bien plus de temps que ne m’en octroiera le Destin, si j’en crois les grincements qui parviennent à mes oreilles…
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:28

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    Dans la cale sombre que n'éclairait presque plus une bougie de suif, le Réprouvé semblait faire un songe, la tête renversée sur le dossier d'une chaise pourrissante.

    Sous ses paupières lourdes, les yeux du Réprouvé tressaillaient et roulaient dans leurs orbites.



    Il courait à travers les bois depuis maintenant deux jours.

    Il évitait avec agilité les groupes de morts qui erraient sans buts dans les Terres Fantômes. Trop lents, toujours un temps de retard, il n’était même pas important qu’ils ne le voient pas, car sa course était aussi légère que s’il n’avait pas commencé ce voyage depuis deux nuits déjà.

    Il avait passé les signes brisés du Royaume de Quel’Thalas, ne s’arrêtant pas à leur hauteur mais contournant au contraire les routes loin vers l’Est, là où sa monture ne lui serait d’aucune utilité. Pour ce périple, il n’avait pas envie d’expliquer aux Veilleurs combien il pouvait être différent depuis la libération d’Achérus.

    Quel’Thalas ! La guerre n’avait pas épargné le Royaume des Bien Nés, il le savait, mais la réalité dépassait ses pires craintes. Comment aurait-il pu survivre à cette dévastation ? Et surtout, comment la retrouver, cette personne dont il s’était mis en quête ?

    Lorsqu’il fut enfin en vue des murs de Lune d’Argent, qu’il pouvait apercevoir de loin sur cette butte, il s’arrêta un instant. Lune d’Argent ! Enfin !

    Il repensa aux circonstances qui l’avaient soudainement décidé à tout abandonner pour simplement courir vers le Royaume des Sin’Doreïs. Ce souvenir-là… pour la première fois à sa portée… il l’avait saisi comme un noyé saisit une corde, avec un soulagement à la mesure de son désespoir ; et s’était enfin souvenu des quelques jours sombres qui avaient précédé sa première Mort, au moment même où l’emprise que le Roi-Liche avait eu sur lui s’était rompue.

    A peine quelques jours s’étaient passés depuis que les Chevaliers de l’Achérus s’étaient rebellés contre leur Maître, au côté du Généralissime Mograine.

    Puis il avait enfin revu comme en songe le visage de son ancien tuteur, et avec ce visage, il avait enfin entendu ses dernières paroles, comme son serviteur favori sanglait son harnais de voyage :

    « Tu sais bien que je dois y aller. La Guerre embrase Quel’Thalas et Il m’a fait quérir. Tu connais les anciennes allégeances qui lient ta famille. En y allant, je respecte ton Père et ta Mère, Fils-Sœur.

    Lordaeron ne peut déjà plus être sauvé. Bientôt le Mal viendra en ces contrées et tu auras bien assez tôt l’occasion de secourir les misérables qui fuiront son emprise. Mais tu as des biens également en Quel’Thalas, et il en va de ton honneur qu’ils soient défendus au Nord comme à l’Est par tes consorts. C’est ainsi que nous avons toujours agi. Notre sang doit payer les faveurs que le Destin a mises un jour entre les mains de notre lignée.

    Si d’aventure cela tournait mal ici, tu me retrouverais là-bas, sur nos terres. Tu leur montreras mon sceau, que je te remets, et souhaiteras parler au Capitaine de la 17ème Cohorte. Souviens-toi toujours de notre devise, car elle contient l’histoire de tous les tiens et apporte désormais aussi la connaissance de ton avenir
    . »

    Rälkezad murmura en regardant Lune d’Argent qui se détachait à l’horizon : « Par-delà les Terres des Hommes de Paix… »

    Il avait oublié depuis si longtemps cet entretien et le visage grave de son Oncle maternel lorsque celui-ci l’avait salué une dernière fois avant de partir avec son serviteur en direction du Nord. Savait-il alors que Lune d’Argent allait tomber un jour après seulement l’invasion des domaines familiaux de l’Est ?

    Mais désormais il en serait certain, il irait dans la maison de maître qui regardait les vagues du rivage de Brise-d’Azur. A présent il se souvenait aussi de son unique voyage, lorsque quittant l’enfance, il avait été autorisé par son Oncle à visiter les Domaines du Nord.

    Il avait passé de longues soirées d’automne à contempler la mer déchaînée affronter les récifs que dominait la Maison de Mer.

    Le dernier soir, avant de s’en retourner dans l’Est, il avait partagé cette vision avec une de ses jeunes parentes, qui était page auprès d’une Dame Bien Née. Elle l’avait regardé comme lui regardait la mer…

    La mer, cet espace de liberté infinie et sauvage… Rälkezad avait tourné la tête, car la mer n’était pas le chemin que l’on avait tracé pour lui. Dans une autre vie, peut-être que…

    Le Réprouvé marqué par les épreuves releva la tête et quitta ses souvenirs. Comme ils étaient nombreux à se bousculer à l’horizon de son esprit, maintenant que son Roi avait relâché l’emprise qu’il avait sur ses pensées.

    Oui… Là-bas, dans la Maison de Mer, il chercherait un signe. Un signe de vie, un signe de mort, mais il savait qu’il saurait le voir. Rälkezad regarda encore sa main, où brillait d’un reflet terne le sceau de sa famille. Il serra le poing jusqu’à la douleur. Oui, il était temps de se mettre en quête de sa famille.

    Il rejoindrait ses autres Frères Chevaliers en Norfendre juste après. Traverser la mer glacée, braver les courants et les monstres marins. Accoster sur ce territoire de terreur et de guerre implacable. Mais d’abord, il devait confronter son passé.

    Avec un dernier regard vers Lune d’Argent, Rälkezad reprit le chemin à demi effacé de ses anciens domaines du Nord.
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:30

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    Le songe retenait le Réprouvé dans ses rets.


    [...]

    Un grand homme, le visage grave et ensanglanté, aux pieds de la forêt.

    Les vagues d’assaut du Fléau se brisaient contre lui et ses hommes, adossés à la lisière des bois. Des Hommes, oui. Ici en Quel’Thalas, ici sur les terres elfiques, ce qui restait de sa troupe allait se battre jusqu’au bout et se sacrifier pour gagner du temps.

    Il cracha un jet de sang sur l’herbe foulée autour de lui, faisant un moulinet avec sa lame pour se garder l’allonge nécessaire. Cela valait toujours mieux que de se battre dans les rues de Lune d’Argent comme les autres et d’assister impuissant aux massacres des femmes, des faibles et des enfants. Même d’ici, il entendait la Cité hurler sous l’assaut d’Arthas le Maudit.

    Ici au moins, jusqu’à la fin il sentirait le sol vivant sous ses pieds, il entendrait le bruit du vent sur les feuilles des arbres, il sentirait les effluves iodées venues de Brise-d’Azur.

    Les Bois des Chants-Eternels restaient un bel endroit, suffisamment beau pour y mourir, même lorsque le ciel était empli par des vols de créatures de cauchemar et les sentiers encombrés par les lourds Chariots de Peste, qui creusaient d’horribles ornières dans la forêt.

    Est-ce que le Domaine avait été évacué à temps ? Son loyal serviteur avait-il eu le temps de revenir aux quais de la Maison de Mer avec le voilier des voisins Bien Nés, dont le gracieux manoir était à présent en feu ? Sa fille y avait-elle embarqué comme il le lui avait ordonné ?

    Arwaelyn…

    Elle avait pleuré lorsqu’il lui avait fait ses adieux, pleuré devant les gens de sa troupe qui attendaient au bas du perron de la Maison de Mer, rendus hagards par les combats insensés qui avaient vu la moitié des leurs tomber dans les bois environnants.

    Il lui avait dit que cette époque ne permettait plus les larmes de tristesse que la jeunesse verse parfois pour ceux que la Mort appelait. Il lui avait pris la tête dans ses mains tachées de sang, avait collé son front tailladé contre le sien et avait murmuré des paroles de réconfort. Il lui avait dit qu’il rejoindrait bientôt sa mère, que de là il veillerait sur elle, que sa vie avait plus de valeur que la sienne, que des pactes avaient été scellés, que l’avenir de leur lignée dépendrait de la façon dont elle respecterait son engagement… que son honneur à elle ne résidait pas dans les combats mais dans l’amour qu’elle porterait à celui qu’on avait choisi pour elle, dans les domaines de l’Est…

    A travers ses pleurs, elle avait hoché frénétiquement la tête, mais déjà des hurlements retentissaient dans les bois, un sergent criait pour annoncer qu’ils revenaient à la charge.

    Il avait alors brusquement lâché le visage de sa fille, s’était troublé de lui voir les traits ensanglantés là où ses doigts poisseux l'avaient frôlé mais avait du dégainer son épée. Il avait mis ses hommes en ordre d’escarmouche et avait couru à la rencontre des monstres qui sortaient des environs de la Maison de Mer.

    Il avait crié la devise de sa famille et rencontré ses premiers ennemis. D’un puissant coup d’épaule il avait renversé ce qui semblait être un ancien fermier de Lordaeron. Sans même lui planter son épée à travers le corps, il écrasa les os de sa tête de son pied chaussé de fer, réservant un large coup de taille au Non Mort suivant. Le combat se jouerait à l’économie des gestes, à l’épuisement. Il le savait, comme il savait qu’ils ne seraient pas victorieux.

    Mais seul le temps gagné comptait désormais.


    […]


    _ « Tu mens, comment cela se pourrait-il ?! Chien, tu l’as abandonné, toi en qui il avait le plus confiance ! Je te revois sangler son harnais de voyage avant de partir pour les combats en Quel’Thalas !

    Par quelle couardise es-tu encore en vie ? Et que me dis-tu à propos de ma cousine ? Par quels mensonges essais-tu de sauver ta misérable vie ? Quels plans sers-tu ?
    »

    Rälkezad n’en pouvait plus d’écouter le récit saccadé que lui faisait Galvan, l’ancien serviteur de son Oncle. Le signe qu’il avait trouvé dans les ruines de la Maison de Mer, et qui semblait rappeler à lui tous les jours révolus, dans cette pièce délabrée et ouverte aux vents mauvais. Mais ce signe était un mensonge, car l’inverse eut été trop terrible à imaginer.

    _ « Tuez-moi si tel est votre désir, infortuné Maître, mais ne m’accusez pas de lâcheté ! C’est bien sur son ordre en vérité que je suis allé voler le voilier de nos amis Bien Nés, sur son ordre, j’ai traversé la terre en feu, marché sur les corps des membres de cette malheureuse famille et sauvé le moyen de nous enfuir, votre cousine et moi.

    Oui, votre cousine, avec laquelle vous avez passé la dernière soirée lors de votre voyage sur ces terres. Vous étiez alors jeune mais vivant, oui, si vivant, Maître…
    » Galvan regardait intensément le visage de son jeune Maître, sa terreur et l’intonation de sa voix disaient trop bien que son récit était sincère, et aussi combien il aurait préféré ne jamais revoir son jeune Maître.

    _ « Votre Oncle avait depuis longtemps formé le projet de réunir les deux branches, car vous le savez, à sa majorité, votre cousine devenait son héritière et cela signifiait la scission de vos biens. Elle avait été placée chez une Dame Bien Née en prévision du jour où vous seriez en âge de l’épouser, votre Oncle l’avait décidé, elle…

    _ Assez !
    » hurla d’une voix brisée le Réprouvé.

    Il maintenait toujours à terre l’homme qu’il avait jadis considéré avec affection, mais la prise qu’il avait assurée sur sa gorge se relâchait. Des sanglots silencieux le secouaient, les pertes et les deuils passés menaçaient de le submerger comme aucun ennemi ne l’avait fait auparavant.

    Ses yeux laissaient couler de l’ichor rosâtre sur le visage du serviteur atterré.

    Le serviteur déglutit. Son bras se leva lentement, jusqu’à ce que sa main rencontre le visage marqué par la mort du jeune Rälkezad qui pleurait des larmes de sang. La main chercha l’ancien geste qui consolait le jeune Maître.

    L’autre bras en revanche se rapprochait de la lame de botte… Galvan était à moitié étouffé par la pitié et l’horreur. La garde de cuir contre la main à présent…

    Est-ce la pitié qui empêcha le premier coup d’être fatal ? Rälkezad, lanciné de douleur par la lame plantée dans son dos, raffermit immédiatement sa prise sur la gorge de son serviteur. Etouffé, Galvan planta encore deux fois la lame dans le dos de son Maître qui tressaillait sous les impacts, mais les coups avaient perdu de leur force. Bientôt l’homme ne bougea plus, le regard fixe.

    Se relevant avec lenteur, Rälkezad tituba jusqu’à se tenir contre le mur effondré de la pièce, l’ichor gouttant le long de son coude plié. Il pouvait voir de là les quais pourrissants de la Maison de Mer, où un fin et léger voilier était amarré.

    Il avait si longtemps tué les vivants, il avait été si longtemps persuadé que plus rien ne devait retenir la violence qui le faisait continuer à exister.

    Il savait à présent qu’il paierait pour ses crimes et que le prix ne pouvait qu’être exorbitant. La mer ne pourrait plus le faire se sentir libre. Plus maintenant.



    Quelques jours plus tard, à bord du vaisseau de la Horde qui menait comme une bétaillère toute une cohorte de Chevaliers de la Mort, Rälkezad se tenait droit.

    Il avait maintenant une raison de survivre aux charniers du Norfendre. Son périple ne faisait que commencer. Il retrouverait l’autre survivante de sa famille. Si la branche du Nord avait perduré, si le serviteur avait dit vrai, alors la guerre n’avait plus de sens pour Rälkezad.

    « Par delà les Terres des Hommes de Paix… » murmura Rälkezad…


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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:33


    Galvan




    J'ai quitté le fief des Écarlates longtemps après être devenu un de leurs combattants. J’avais perdu l’envie ou l’habitude de faire les corvées des serfs au côté de mon premier Maître. Malgré les dangers, je trouvai l’existence des patrouilleurs plus intéressante que celle de ceux qui servaient en reclus les Écarlates.

    Mais j’aime à penser que je n'ai jamais abandonné ma raison. Si je chérissais l’idée de défendre les murs de la Nouvelle-Avalon, d’aider mes frères du Nord, qui luttaient chaque jour contre le Fléau, si je laissais parfois mes sens s'engourdir au son des prêches qui galvanisaient ceux qui devaient sortir de l’enclave pour des missions de reconnaissance ou de patrouille, je n'ai jamais été un fanatique, capable de prendre la vie d’un de mes semblables sans éprouver force doutes et grande tristesse.

    A chaque fois que j’enfonçais ma lame dans le corps d’un misérable, coupable de rien d’autre que d’avoir faim, froid ou d’être épuisé par les labeurs incessants, l’envie me prenait de quitter les Écarlates et de continuer mon voyage vers le Septentrion. Car les Écarlates tuaient aussi bien les non morts que les vivants, qui étaient souvent suspectés d’appartenir aux servants humains du Fléau, qu’ils fussent coupables ou non, peu importait en vérité.

    Parfois, je me demandais où se trouvait le neveu de mon ancien Maître. Le promis de celle que j'avais abandonné dans le Sud.

    Ces fois-là, je me retenais à grand-peine de rallier l’ancien Royaume de Quel’Thalas. On disait que les Elfes avaient pour partie retourné vers leurs terres ancestrales.

    Mais il se disait aussi bien d’autres choses. Que le dernier Prince Haut-Soleil, longtemps aimé des siens, avait été abattu par une coalition composée d’humains, d’elfes et de créatures plus étranges encore. Ces nouvelles nous paraissaient irréelles. Seule la peur et la méfiance constituaient notre quotidien. Je ne comprenais pas grand-chose à tout le reste, là-bas, au-delà de la menace que faisait peser sur nous les morts. Je savais simplement que les Hauts-Elfes étaient devenus nos ennemis, eux aussi. Et que le Fléau dominait encore et toujours nos terres, sans que nous ne puissions espérer l’en chasser un jour.

    Puis sont venus les temps de malheur, avec la soudaineté de l’orage dans le ciel fuligineux des Maleterres. Une des nécropoles volantes du Fléau s’est mise à survoler l’Enclave, au milieu de nuées de créatures repoussantes. Des essaims noirs s’abattirent sur les postes avancées qui gardaient les crêtes de l’Enclave, apportant l’obscurité et la terreur sur nos hauteurs.

    L’Achérus, c’est ainsi que nos ennemis appelaient cette horreur volante. Cette Nécropole s’est mise à vomir des goules et bien d’autres morts-vivants. Des bataillons de Chevaliers de la Mort les poussaient devant eux, invincibles sur leurs lourds destriers.

    Nous avions tous vainement présumé de la force de nos murs. Sans jamais envisager que l’Ennemi passerait par-dessus nos défenses.

    Nous fûmes submergés en quelques jours de douleur et de massacres. Les civils, vieillards, femmes et enfants nous désorganisaient dans leur fuite. Je crus revivre la fin du Royaume de Quel’Thalas.

    Je décidai de fuir pendant que je le pouvais encore, abandonnant comme de nombreux autres combattants la défense de notre havre. Mais l’accès aux navires nous était déjà refusé, pour ceux qui comme moi avaient dans un premier temps rallié la Cité pour nous y retrancher. Les navires abandonnèrent en ces sombres instants la quasi-totalité des leurs aux griffes du Fléau.


    ***


    Je fus de ceux qui purent s’enfuir, en petits partis, dans la direction opposée, Au cœur des Maleterres de l’Est, forçant un passage à travers les cohortes de non morts qui patrouillaient aussi de ce côté de l’Enclave. Mes compagnons d’infortune n’étaient pas préparés pour y survivre longtemps. Mon propre salut me commandait de les abandonner à leur sort sur ces terres sans refuge. Ils n’atteindraient jamais Atreval. Quant à moi, plus rien ne me retenait sur ces terres maudites.

    Je compris qu’était venu le temps de continuer mon voyage, que ces temps de malheur sonnaient à nouveau pour moi l’heure du départ et du devoir, trop longtemps différé. Peu importait que ma mission fût devenue inutile, que le sort de ma dernière Maîtresse ait pu être scellé depuis longtemps. Plus rien d’autre ne me tenait éveillé. J’étais devenu une coquille vide et sans autre but. Il me semblait avoir vécu trop de massacres, trop de défaites et avoir trop survécu quand d’autres, bien plus méritants que moi, avaient succombé. Il ne me restait plus qu’à aller jusqu’à l’issue de ma quête et à périr de peine dans ce qui avait été mon pays d’adoption, sur les terres de Quel’Thalas.

    Je devais retourner à Brise-d’Azur. Fouler les ruines de l’incendie. Chercher un signe de vie ou un signe de mort. Puis je pourrais enfin m’étendre sur le perron de la Maison de Mer, que l’herbe devait sans doute recouvrir en bonne partie.

    Je ne m’encombrai guère. Je pris simplement une partie des provisions sauvées par mes compagnons d’infortune, car je n’aurais eu ni le temps de chasser ni celui de ramasser des baies en chemin, en aurais-je seulement trouvé des comestibles ; ce faisant, je diminuais d’autant les chances de survie de ceux que j’abandonnais, mais ils étaient de mon avis déjà condamnés. Je consommai mon forfait le soir même, pendant mon propre quart de garde.

    Je traversai les Maleterres de l’Est en ébullition ; l’Achérus semblait devoir tout anéantir sur son passage, ses Chevaliers écrasaient chaque obstacle qui subsistait encore en ces terres. J’évitai leurs armées grâce à mes talents de patrouilleur et de natif de la région, puis sans plus jeter de regard en arrière, franchis l’un des cols qui contournait la Passe Thalassienne. Les Maleterres me semblaient perdues à jamais, tournant une page de ma propre existence.

    Je parcourus comme dans un sommeil éveillé les Terres Fantômes, évitant les bêtes farouches comme les combattants de garnison de quelque faction qu’ils fussent. Je ne m’égarai pourtant pas, comme si je ne faisais que traverser en compagnie de mon Maître ces terres maintes fois sillonnées de son vivant.

    Ces terres étaient autrefois si belles. Elles n’étaient plus à présent qu’un forêt hostile et ténébreuse.

    Je ne m’attardai pas plus qu’il ne fallait en ces lieux. J’atteignis les rives Sud du Lac Elrendar. Je préférai contourner le lieu maudit de Solcouronne pour longer les territoires des sanguinaires Trolls Ombrepins.

    A cette période, les Trolls sortaient des forêts pour se livrer à des raids sur les colonies des elfes venus reprendre possession de leurs campagnes. Plusieurs fois je dus faire demi-tour, effrayé par les totems macabres signalant leurs territoires ou les signes qui me révélaient leur présence.

    J’atteignis enfin les rives orientales du Lac Elrendar, toutes proches des territoires Amani, plus dangereux encore que leurs cousins Ombrepins. Je dépassai les Chutes de l’Elrendar sans m’arrêter pour contempler leur beauté. Tout était devenu si sauvage. Je me hâtai de plus en plus au fur et à mesure que la route me rappelait mes années de bonheur auprès de mon premier Maître. Des temps révolus.

    Je coupai au travers des anciennes terres des Ternesoir et atteignis par une fin de journée les côtes de Brise-d’Azur, sous un ciel de plomb.

    Là-bas, je crus concevoir que peu de choses avaient changé depuis notre fuite. Les bois avaient la même apparence. Ce n’est qu’à l’orée de ceux-ci que je dus me rendre à l’évidence. Si les forêts de ce pays avaient gardé une bonne part de leurs enchantements, je n’y pourrais jamais trouver le repos, car devant moi se dressaient les ruines de la Maison d’Été. Au loin se laissait deviner le manoir incendié de nos voisins, dressant comme un chicot sa tour noircie et lugubre.

    La brise marine avait à présent ce son sinistre des vents qui ont trop longtemps hanté des ruines et les lieux où le malheur s’est abattu.

    Je passai la nuit à arpenter les décombres, à fouiller les gravas à la lueur de ma lampe sourde. Mon souffle coupé, je déplaçai des moellons de pierre, en quête d’un signe, d’un indice. Je ne sais si le sommeil me prit malgré moi ou si je m’évanouis d’épuisement, mais je me réveillai le lendemain aux premiers rayons du soleil, au milieu des gravats.

    Je passai encore une bonne partie de la journée à retourner sur les lieux que j’avais parcourus lors de notre fuite, Dame Arwaelyn et moi, ce jour maudit où j’abandonnai mon Maître sur son ordre.

    Je trouvai le lieu où lui et ses hommes avaient combattu jusqu’à la fin, mais cherchai en vain trace du corps de mon Maître, ce qui me troubla et me glaça le cœur jusqu’à la fin de la journée, lorsque je revins sur les ruines de la Maison de Mer.


    ***


    C’est alors qu’il vint. Lui. Le neveu de mon Maître. Le promis de Dame Arwaelyn. Mais je ne le reconnus point de prime abord, car sa semblance était à la fois terrible et hideuse. Je pensai d’abord dans une fulgurance qu’une des créatures de l’Achérus m’avait pisté et remonté jusqu’au Nord sur mes traces.

    Désespéré, je dégainai mon épée et m’apprêtai à combattre, mais dès la première botte je me trouvai désarmé et jeté au sol ; et l’être approchait son visage du mien, comme s’il souhaitait me regarder l’âme du fonds des yeux.

    Ses traits hideusement corrompus par la mort frappèrent mon regard terrifié mais dans un seul et même temps je sus que ma quête trouvait son aboutissement. Je reconnu celui à le rencontre duquel j’étais venu. Et je ne trouvai point de soulagement dans la réussite de ma quête.

    Il me reconnut également, car il ne me tua pas de suite. Un instant décontenancé, comme si le fait de me voir lui portait un coup plus puissant qu’aucun que j’eus pu lui assener avec mon arme, il me parla de sa voix gutturale de Non-Mort, me questionna, m’arrachant le récit des derniers instants de son Oncle, dans les bois environnants du domaine.

    Je ne lui scellai rien de ces instants lamentables. Au terme de mon récit, il relâcha son étreinte, semblant oublier ma présence. J’assistai consterné à ses pleurs de sang ; des sanglots le secouaient et ce spectacle inouï des pleurs d’un non mort m’ébranlèrent comme aucune autre vision ne l’avait fait. J’étais moi-même vaincu par l’horreur et la pitié. Je n’avais jusque là jamais osé penser que le dernier rejeton de la Maison Dûnbareithel eut pu être relevé d’entre les morts et rester malgré tout conscient de lui-même et des autres. Cela me semblait la pire malédiction qu’un être eut pu recevoir et que cette famille dut supporter.

    Mais la pitié le disputait en mon cœur au devoir. D’une main je consolai la créature qui se tenait devant moi, de l’autre, ma main cherchait la garde de mon poignard. L’embrassant contre moi, je lui assenai un coup dans le dos que dévia un os de ses vertèbres. Je n’eus pas d’autre occasion de l’emporter. Malgré les autres coups plus faibles que je lui portai, il referma ses mains dans cette même étreinte mortelle en une prise glacée autour de mon cou. J’accueillis les ténèbres un sourire aux lèvres, le visage baigné des humeurs qui coulaient des blessures de mon meurtrier.


    ***


    Un craquement interrompt le silence qui s’est appesanti à la fin du récit. Le feu de camps a bien besoin d’un morceau de bois supplémentaire, mais vous restez immobile.

    Vous regardez encore une fois la silhouette éthérée qui s’est agenouillée, séparée de vous par les flammes mourantes.

    Contre toute attente l’apparition reprend la parole, cette fois d’un ton las.

    « Je mourus en ayant trouvé l’objet de ma quête et tué par ce même objet. Je ne pus jamais retrouver Dame Arwaelyn, que j’avais à tort considéré comme le dernier de la Maison Dûnbareithel foulant encore ce monde de peines.

    A présent, je sais qu’il en est encore trois, dont un qui n’est pas prêt de quitter ce monde de façon naturelle.

    Et vous, ce soir entre tous, vous avez entendu mon histoire, assis sur le perron de la Maison de Mer, cette maison que vous avez prise pour une ruine muette. Devisant avec un fantôme, hanté par sa propre trahison et ses propres remords.

    Me délivrerez-vous des chaines qui me retiennent ici, sur les lieux de mon meurtre ? Irez-vous voir Dame Arwaelyn dans le Sud pour lui conter mon histoire ? Lui demanderez-vous de ma part, lâche que je suis, le pardon pour son misérable serviteur ? Ou dites-lui seulement que je regrette, et que dans l’attente de son pardon, je garderai patiemment les ruines de la Maison de Mer, tenant compagnie à la brise marine…
    »

    Les mots de l’esprit semblent flotter par-dessus le bruit lointain du ressac, et les derniers de plus en plus faibles vous semblent une devise à moitié oubliée : « …par delà les Terres des Hommes de Paix... »

    Quelques étincelles dansent un instant au-dessus du feu et votre regard ne fixe plus qu’un espace vide et désolé, sur le perron de la Maison de Mer.
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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Lun 24 Oct 2011 - 15:35


    Rälkezad de Glace-Sang




    Le Réprouvé se réveilla en sursaut, debout, se tâtant le haut du dos en grimaçant. Puis sans raison apparente, il renversa son siège qui tomba plus loin dans une grande éblaboussure.

    Il frappa de son poing une poutre de la cale.

    Il se frotta le poing, le regard de nouveau brumeux. Un autre souvenir opportuniste...



    Le tumulte de la fête envahissait le bourg des Grisonnes. Mais le voyageur ne semblait pas partager la joie des paysans et des bourgeois. Son cheval morne avançait la tête basse sous le crachin du soir. Sous sa capuche, le Réprouvé observait les mouvements des villageois, comme étourdi par ce qu’il voyait.

    Partout autour, les villageois dansaient, sautaient, leurs rires libérés. Enfin la nouvelle leur parvenait ! Le Roi Liche n’était plus ! Les cohortes victorieuses allaient pouvoir rentrer chez elles ! La vie reprenait ses droits !

    Oh ! Comme la vie prenait sa revanche ! Un Non Mort était crucifié devant un feu de joie par-dessus lequel les jeunes femmes sautaient, éperdues, attendues par les jeunes hommes de l’autre côté.

    Le Non Mort grimaçait et bougeait ses membres entravés tel un grotesque épouvantail ; des fermiers lui tendaient dans un geste de dérision leurs choppes. Tous savaient qu’avant la fin de la nuit le Non Mort serait jeté au feu. Les symboles prenaient vie en cette fin de Jour heureux.

    Comme partout en ce jour, les vivants se libéraient de leur peur des Morts. Après avoir longtemps ployé sous leurs assauts, chaque hameau, chaque village brûlerait un Non Mort non sans avoir joué avec lui. Le Norfendre tout entier serait illuminé de feux de joie.

    Peu importait au juste si le Non Mort était pensant ou non. Celui-ci ne l’était pas. Ou trop peu. Quelle différence de toute manière ?

    Le voyageur était arrivé au milieu de la place, son cheval immobilisé par une farandole sautillante. Quel malaise lui serrait-il le cœur ? Il porta sa main à sa poitrine, laissant voir un bref instant sa peau craquelée et gelée. Noircie par la mort.

    Quelle fut la femme qui aperçut ce mouvement furtif ? Que cria-t-elle aux autres villageois ? Le voyageur ne le sut point, car des hommes l’encerclèrent aussitôt sans même cesser de danser et le désarçonnèrent, toujours au son des instruments rustiques de la région.

    Il fut battu, roué de coups de fléau à grain, son cheval égorgé sur lui par la foule prise de folie. Des os craquèrent, sa mâchoire brisée pendait lamentablement. Ses membres furent liés, on continuait à le battre et à le traîner à moitié vers un enclos à l’écart. On le soulevait, le hissait par-dessus la barrière et il fut jeté à bas.

    A moitié paralysé, aveuglé par des morceaux de chair et d’os de son visage, l’ichor suintant, il entendit des bruits de boue et de mouvement. Il n’était pas seul dans l’enclos. D’autres formes, ligotées elles aussi.

    Certaines sur d’autres, plusieurs sur une seule, des bruits de lutte, l’une des formes qui convulse sous le poids des autres. Non, certaines en dévorant une autre. Fléau et Réprouvés dans le même enclos. Les rires gras des spectateurs, les paris lancés dans la langue des humains. L’un des Non Morts du Fléau qui se tourne vers lui et qui commence à ramper vers lui.

    Sortir de l’état de choc. Utiliser son pouvoir. Commander au Non Mort, lui ordonner de l’oublier, paraître un de ses semblables, avant de sombrer…

    La nuit tombait sur le village en fête. Rälkezad sortait de sa torpeur de Mort. Autour de lui, toujours rampants, les Morts du Fléau continuaient à se mouvoir dans la boue comme des vers immondes.

    Le Réprouvé regardait d’un air hagard les formes démembrées dans l’enclos, sans comprendre ce qui lui arrivait. Mais son regard devint plus dur à mesure qu’il se reprenait. Il appela à sa manière l’un des Morts les plus proches de lui.

    « Reconnais-moi pour ce que je suis, ver de mort… viens, viens à moi, viens te nourrir de ma chair… »

    Oh oui, il venait, claquant des mâchoires dans la boue et le sang de l’enclos. Une lutte sourde s’engagea, d’autres plaies apparurent, attirant deux autres Non Morts vers lui. Vite. Il devait faire vite.

    Il réussit à bloquer le Non Mort sous son dos, lui présentant ses mains et ses poignets liés. Le Non Mort continuait à happer devant lui, lacérant les mains, les poignets, mais aussi les liens. Plus vite, immonde bouche d’enfer ! Sinon tes copains vont banqueter d’un met trop fin pour eux. Pas ce soir, non, pas ce soir.


    Libre ! Un poignet quasiment inutilisable, des mains rognés et rongés horriblement, mais libre. Les liens enserrant ses jambes déliés, tout en maintenant à l’écart les trois charognards maintenant sur lui.

    Rester couché, afin de ne pas attirer l’attention. Mais il n’y a pas de risque : le fermier de guet autour de l’enclos s’est éloigné afin de voir lui aussi comment brûle un Non Mort, là-bas sur le feu de joie.

    « Dansez ! Oui, riez, sautez de joie ! Profitez de votre nuit, vivants ! »


    La haine envahit le Chevalier de la Mort comme il est sur le point de sauter la barrière pour se sauver. Il regarde les vers immondes qui continuent de ramper vers lui. Il prend une décision. Une hache plantée sur un rondin, toute proche hors de l’enclos. Rälkezad la récupère, resaute dans l’horrible parc et coupe des liens. Avant de partir vers la forêt, il a ouvert la barrière de l’enclos.

    Il ne s’est pas encore trop éloigné du bourg quand il entend les premiers hurlements, qui éteignent les rires comme la tempête éteint une bougie.

    Cette nuit, les vivants ont vaincu la Mort. Mais pas ici. Ici, la Mort fait de la résistance.

    Se frottant se deux mains mutilées, Rälkezad s’enfonçe dans la forêt. Il abordera plus prudemment les lieux habités à l’avenir. Aux Fjords Hurlants, il prendra un navire pour Fossoyeuse. La Guerre continuera de plus belle après la victoire sur le Fléau, il en est désormais certain.

    Et lui, il sera dans les rangs des combattants. Plus jamais dans celui des victimes expiatoires.

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