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    Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang.

    Rälkezad de Glace-Sang
    Rälkezad de Glace-Sang
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    Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang. Empty Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang.

    Message par Rälkezad de Glace-Sang Dim 7 Aoû 2011 - 0:19

    [Alyae, tu m'as fait prendre conscience que je n'avais pas importé les quelques textes que j'ai produit sur mon personnage, je répare donc cet oubli.

    Je sollicite par avance votre indulgence, car ces textes n'ont pas tous la même date de fraicheur, et certains pourraient paraître décalés par rapport à ce que l'on pourrait penser aujourd'hui de mon personnage Réprouvé.]





    *Le grattement de la plume sur le rude vélin était ponctué par le grincement du bois du navire balloté par les flots*

    Je suis un ancien servant de celui que l'on nommait autrefois le Roi-Liche, celui-là même qui recréa l'antique Ordre des Chevaliers de la Mort et le modela à son image.

    Si j'écris ces lignes...


    *La créature penchée sur le secrétaire exigü cloué au plancher à cause du roulis, patiné et tâché par l'encre noire se retourna, pour jeter un regard aux matelots épuisés et couchés à même la cale, faiblement éclairée par une bougie de suif ; sa face décharnée semblait un masque de cire glacée, éternellement figée sur un rictus d'effroi et de souffrance ; il affirma sa main et se remit à tracer des lettres courbes sur le vélin*

    ..., ce n'est pas pour flatter ma faible gloire personnelle.

    Cependant, nous nous trouvons engagés dans un périple dont il est à présent certain que nous ne reviendrons pas... identiques à ce que nous étions lorsque nous prîmes la Mer. La non-vie me rend prudent quand j'évoque la Mort, mais il est certain qu'elle plane au-dessus de notre funeste entreprise.

    Avant de coucher sur ce manuscrit les évènements qui nous ont conduit, mes compagnons et moi, à partir pour cette ultime destination, je relaterai les circonstances qui ont fait de moi un membre de cet équipage.

    Que le lecteur téméraire me pardonne si la chronologie exacte des anciens évènements lui paraît malmenée, car les évènements me paraisent avoir désormais une logique différente de celle dont pourrait faire montre une créature douée de raison commune.


    *La porte de la cale s'ouvrit violemment, laissant entrer le mugissement du vent glacial qui balayait le pont ; la bougie de suif s'éteignit et l'être qui tenait la plume, d'un pas sûr, alla refermer la porte, plongeant la cale dans l'obscurité la plus totale*
    Rälkezad de Glace-Sang
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    Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang. Empty Re: Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang.

    Message par Rälkezad de Glace-Sang Dim 7 Aoû 2011 - 0:20

    Une lumière minuscule refît surface, et bientôt la chandelle brûlait de nouveau, lançant ses lueurs tremblotantes dans la cale.

    Rälkezad sembla réfléchir quelques secondes puis recommença à tracer des lettres sur le vélin.


    Aujourd'hui, lorsque je ferme les yeux, je me vois courir en marge d'une route boueuse le long des forêts des Pins Argentés. Peut-être est-ce parce que je n'ai pas couru depuis longtemps, prisonnier comme je le suis de ce vaisseau depuis ce qui me semble une éternité. Mais laissez-moi vous conter ce souvenir de course et de terreur...



    Nous étions quatre à courir de concert le long de la sinistre route qui traverse la Forêt des Pins Argentés, par un soir de fin d'été. Mais que veulent dire les saisons dans cette contrée maudite, coincée entre l'Ancien Royaume Scellé de Gilnéas (ndlr : les faits relatés par le Réprouvé semblent dater de l'époque d'avant la Chute du Mur de Grisetête, contemporaine du réveil d'Aile de Mort ; eh oui, cela date !) et les Clairières de Tirisfal ? Les branches des arbres griffaient nos pièces d'armure et nos faces, de temps en temps la lune bondissait entre deux nuées et faisait luire en un éclair nos lames, que nous tenions hors du fourreau.

    Il avait plu, et nos bottes laissaient de pesantes marques dans la boue, les buttes étaient rendues glissantes et traîtres. L'un de nous glissa en escaladant l'une d'entre elles. Il aggrippa la boue avec ses ongles, laissa échapper un râle épuisé mais nous rejoignit en deux bonds agiles. Le sang des fils Hakkari coulait dans ses veines, et il serait sans doute le dernier d'entre nous à s'écrouler dans la course mortelle que nous avions engagé.

    Derrière nous, les Worgs et les Loups d'Arugal nous pistaient, renifflant et hurlant dans la nuit pour coordonner leur chasse.

    On dit parfois que les marins font de mauvais coursiers, mais nous courrions alors comme si le Démon était assis sur nos épaules et ricanait à nos oreilles.

    Nous avions pourtant été prévenus par les augures que nous réveillerions les maudits à quatre pattes qui renifflaient chaque nuit au Mur de Grisetête, défendant l'entrée du Royaume de Gilnéas. Nous avions pourtant tenté de passer outre le Mur. Nous avions maintenant la meute du fils d'Arugal au train.

    Notre tentative pour trouver refuge au village du Bois-du-Bûcher fut vaine, et je ne sais qui de nous ou de nos poursuivants les villageois eurent le plus peur, le fait est que nous trouvâmes porte close. Par une nuit comme celle-ci, les villageois passaient leur nuit transis par l'effroi, des familles entières serrées autour de l'âtre, les hommes la fourche prête, les femmes les couteaux sortis.

    L'un de nous les avait maudit et avait craché sur l'une des portes, mais il n'était pas temps de forcer l'entrée des maisons barricadées, d'autant plus que la plupart des âmes de Bois-du-Bûcher sont déjà maudites. Nombre des villageois devaient déjà appartenir à ceux qui nous chassaient ce soir. Nous étions repartis très vite, car à présent il nous fallait doubler les funestes murailles d'Ombrecroc avant que les hurlements ne donnent l'alerte. Si les portes de ce Fort s'ouvraient avant notre passage, alors nous aurions la route coupée par les lycanthropes.

    Insensés que nous étions ! Les âmes tourmentées d'Ombrecroc étaient déjà de sortie, et le carrefour nous était interdit. Ce n'est qu'en nous rapprochant encore plus de l'épicentre du Mal qui rongeait ce pays que nous évitâmes le guet-apens. Encore faut-il indiquer que notre détour n'empêcha pas les poursuivants de rallier ceux qui s'étaient embusqués, pour nous donner une chasse encore plus féroce.

    Si nous tenions le rythme insensé de la course, il nous faudrait encore éviter la Ferme des Olsen, et l'horreur qu'elle abritait désormais. Nous n'osions pas nous regarder, car il semblait que ce serait chose impossible que de parvenir tous sains et saufs au Sépulcre, le bastion Réprouvé, notre hâvre.

    C'est alors que surgit de la route un cavalier, ou devrais-je dire une cavalière. Sa monture se cabra devant le Hakkari qui s'apprêtait à désarçonner l'inconnue. Mais elle s'écria dans le langage de Fossoyeuse : "Qui va là ? Qui met en émoi les âmes maudites de la Forêt cette nuit ? Courez, aussi vite que vos jambes pourront vous porter, je vais couper votre course et essayer d'attirer ces fils de chiens qui donnent de la voix ! Allez !"

    Je n'eus pas le temps de la remercier ou de la prévenir que je repartais dans les bois avec mes trois compagnons. Ce soir, les sorciers renégats qui hantaient habituellement les parages avaient disparus, de même que les fauves. Qui sait ce que ressentent les bêtes les plus dénaturées de ces contrées lorsque la nuit appartient à un Mal plus horrible encore qu'elles ? Sans doute les plus endurcis des ours tremblaient-ils dans leurs tanières d'une peur abjecte, étouffant dans leurs entrailles les gémissements de terreur et rendant fixe leur regard.

    Puis nous la vîmes au loin. La ferme des Olsen. Nul ne savait au juste ce qu'étaient devenus les Olsen, peut-être flairaient-ils eux aussi les traces que nous avions laissées dans la boue de la forêt. Ma face devait refléter l'horreur que je ressentais car mes autres compagnons portèrent leurs regards au-delà de la lisière des arbres : la ferme était devenue une tanière puante et frénétique de lycanthropes, tous plus féroces et dénaturés les uns que les autres. Ils grattaient la terre et hurlaient à la lune leur démence, semblant prendre part à quelque conversation crépusculaire avec d'autres mondes.

    Non loin de là, un hurlement jaillit et les griffus habitants de la ferme tournèrent leurs yeux vers les fourrés dans lesquels nous étions cachés. Nous étions découverts.

    Il n'était plus temps de fuir, nous devions vendre chère nos peaux, comme cinq lycanthropes fondaient sur nous. Nous perdîmes notre compagnon Hakkari, bien qu'il brisât lui-même l'échine de deux créatures. Durant le combat, je fus mordu cruellement au bras, bien que personne n'eût le temps d'y prendre garde.

    La route vers la ferme nous était ouverte, mais au loin nous voyiions la route du Sépulcre se fermer : une partie de nos poursuivants avait silencieusement contourné notre position et venait de nous couper de tous secours. En fin de compte, j'en conclus aujourd'hui que la cavalière n'avait pas réussi à détourner de nous la meute. Je ne pus jamais retrouver ses restes pour lui offrir une sépulture, et je ne connus jamais son nom.


    Cependant je ne m'autorisai pas sur l'instant ces pensées, ne songeant qu'à atteindre le bâtiment le plus important de la ferme. Nous dûmes fendre les os de trois autres créatures, et perdîmes un autre de nos compagnons, que nous laissâmes en pâture aux bêtes qui surgissaient maintenant de tous côtés de la clairière.

    Une fois à l'intérieur, nous nous ruâmes vers le premier étage et pendant que j'attaquais l'escalier à la hâche, mon unique compagnon renversait des meubles pour condamner l'une des pièces. Je ne parvins pas à condamner l'étage à temps, car mon compagnon s'apprêtait déjà à fermer la porte et à me condamner à rester au-dehors : il balbutiait des excuses quand son regard devint fixe. Une mousse rosée lui sortit de la bouche pour lui couler au menton.

    Il fut littéralement éjecté par-delà la porte qu'il essayait de refermer sur moi et la porte s'ouvrit aussitôt en grand : un humain se tenait sur le seuil, son poignard souillé à la main. Il me fît signe d'entrer avec un rictus, et son sourire laissait voir ses longs crocs.

    Je bondis sur la porte et entrai, les loups sur les talons. L'humain ou quoi que cette créature pouvait être se précipita pour m'aider à barricader la porte.


    Nous passâmes des heures à nous arc-bouter sur le panneau de bois, contrant chaque charge des lycanthropes. Nous dûmes couper les mains et les bras de ceux qui lacéraient la porte de plus en plus ébranlée. Notre combat commun se fit en silence, seuls nos grognements répondaient à ceux des lycanthropes.

    Je ne sais plus aujourd'hui quand au juste le siège de la ferme prît fin, sans doute aux premières lueurs du jour. Je me souviens simplement m'être laissé glisser contre le mur, épuisé, côte à côte avec le maudit. Les fenêtres condamnées laissaient passer de fins rais de lumière qu'il évitait avec soin. Il semblait aussi las que moi.

    Je me souviens également que ce fut ma première rencontre avec une forme de Mal encore plus noire que celle des lycanthropes. Et que cette nuit-là, un Mal me sauva d'une autre forme de Mal. Le jour nous sépara aussi sûrement que nos natures étaient dissemblables. Aux pieds des escaliers, dans la pièce principale, il y avait une lanterne, dont le réservoir était encore plein. Je vis en un éclair de pensée le bâtiment en flamme avec un être contre-nature piégé à l'intérieur, condamné par les rayons de soleil au zénith. Puis je regardais mes mains décharnées, dont les ongles avaient été séparés de leurs doigts par la putréfaction depuis longtemps. Ce jour-là je soldai aussi mes comptes avec la Nature.


    On salua mon retour au Sépulcre, plus encore lorsqu'on apprît combien la nuit avait été dure pour moi. Je laissai dans l'ombre l'histoire du maudit, redonnant un peu de gloire à mon dernier compagnon.

    Mais comme vous vous en doutez, je n'allais pas tarder à recroiser la route des créatures de la nuit, bien après avoir cessé d'appartenir complètement à Fossoyeuse Mais cela participe d'un autre souvenir que je conterai si j'en ai le temps.



    Rälkezad releva la tête ; dehors, le blizzard tempétueux s'attaquait à chaque recoin du navire, malmenant comme une vulgaire coquille de noix le vaisseau. Le Chevalier de la Mort referma son livre et s'adossa à son siège dans un geste coutumier. Mais il était loin de la sécurité familière de l'auberge de Baie-du-Butin, bien loin...


    Rälkezad de Glace-Sang
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    Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang. Empty Re: Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang.

    Message par Rälkezad de Glace-Sang Dim 7 Aoû 2011 - 0:21




    Le secrétaire de bois cloué au plancher grinçait à chaque temps du roulis. De l'eau de mer croupie venait lécher les pieds du Réprouvé qui tenait sa plume haute, comme suspendue par sa pensée.

    Puis il posa sa plume contre le vélin humide et le raclement caractéristique du fer sur la peau reprit :


    Je me souviens mieux aujourd’hui des circonstances qui m’on vu renaître, non pas à la vie comme disent poétiquement les bardes humains, mais à la non-mort, dans cette crypte infecte et malodorante des Clairières de Tirisfal.

    Oh, oui… je me souviens bien de cette sensation humide, comme certains fluides de mon corps se répandaient sur le sol de terre battue, au milieu des autres cadavres inanimés.

    Ce fut réellement une seconde naissance, car s’extraire des chairs décomposées et des membres pourrissants jetés pêle-mêle, à peine aidé par les Fossoyeurs, ces accoucheurs des Morts fut une expérience pénible. J’en ressortis au prix d’une grande faiblesse tant physique que psychique.

    En cette période, la Nation Réprouvée était jeune encore, et l’on saluait ce genre de renaissance comme une victoire sur le Fléau et un nouvel espoir pour Fossoyeuse. La renaissance d’un esprit libre, plein de potentiel, rendait les charognards chargés de veiller sur les morts moins repoussants.

    Les nécessités de la Guerre firent que s’ils me traitèrent sans ménagement, j’eus par la suite l’occasion de gagner la confiance de gens puissants au sein de la Nation Réprouvée et j’obtins certains honneurs en vigueur à la Cour de la Dame Noire. Mais c’est un autre pan de mon histoire, que j’écrirai une autre fois sans doute.

    Lorsque je revins parmi les êtres pensants, j’avais perdu la plupart de mes souvenirs. J’ai su plus tard que l’amnésie est parfois le symptôme d’une mort violente chez les non-morts, comme une migraine tenace est la cause d’un choc sur la tête pour les vivants.

    Et violente, ma mort le fut sans doute. Car je ne conçois pas aujourd’hui ne pas m’être battu pour protéger mes biens et mes gens, puisqu’il apparaît que j’ai eu la possession des uns et le service des autres durant ma vie.

    De cela au moins j’ai pu acquérir la certitude. Car je revois parfois une haute figure, respectée de nos serviteurs, à qui l’on réservait de grandes démonstrations de joie lorsqu’il revenait de ses inspections dans les domaines du Nord, aux confins du Royaume. On le disait lié en affaires avec le Concile de Lune d’Argent et les Bien-Nés, loin vers les contrées septentrionales.

    Il me ramenait parfois des merveilles de magie, en réalité de simples hochets pour enfants Bien-Nés, mais si chatoyants qu’ils faisaient l’admiration des fils de ferme de tout le domaine pendant des semaines…

    Lorsqu’il était présent, cet homme que je devine proche parent m’emmenait faire le tour de nos biens. Il me parlait de Lordaeron et du Royaume, dont nous ne percevions que les vagues échos en ces terres orientales. Même la fière Cité de la Main de Tyr me paraissait lointaine, bien que mon tuteur y allât régulièrement pour s’entretenir avec des Haut-Elfes de Quel’Thalas.

    Mais je ne conserve plus que de rares souvenirs de mon enfance et je souhaite relater ceux qui précèdent de peu la fin de ma première existence.

    Je me vois m’entretenir avec un groupe de miliciens, attroupés et tenant grande conversation avec un soldat de la garnison de la Main de Tyr. Les premières forces du Fléau avaient été contenues au prix de lourdes pertes dans la région, on parlait de massacres plus au Nord.

    Les miliciens souhaitaient se replier derrière les murs de la Main de Tyr. Les rumeurs de la Guerre en Quel’Thalas étaient sinistres. Je m’opposai à l’abandon de mon domaine. Mais je ne pus retenir que quelques fermiers et certains des plus loyaux serviteurs de mon tuteur, qui était lui-même toujours retenu à Lune d’Argent par les circonstances.

    J’attendais des nouvelles de lui et décidai de tenir les lieux inviolés jusqu’à son retour ou à tout le moins jusqu’à ce qu’il me délivre de la responsabilité de nos biens.

    Je revois encore les familles et les hommes fuir les campagnes. Nous hébergions, parfois pour plusieurs nuits de pauvres hères qui fuyaient le Nord. Nous partagions de maigres réserves composées de gruau et de viande séchée, qui constituait l’essentiel de ce que nous avait laissé la garnison de la Main de Tyr.

    J’en profitais pour glaner des nouvelles du Nord, dans l’espoir d’en tirer un enseignement sur ce que je devais faire.

    Est-ce durant l’une de ces nuits que les Morts nous surprirent ? Ai-je eu le temps et la force d’empoigner la lame avec laquelle je dormais depuis que l’Invasion du Fléau avait atteint notre région ?

    Aujourd’hui encore, je ne m’en souviens pas. Lorsque je revins sur ce monde en tant que Réprouvé, je n’avais que de vagues consolations : j’étais presque certain que je n’avais plus de famille, car Lune d’Argent était tombée depuis quelques jours déjà.

    Peu de temps après mon réveil, je savais ma lignée éteinte et pus sans arrière-pensée commencer à tuer les vivants, m'épargnant la crainte de porter la mort auprès de ceux parmi les miens qui pouvaient encore vivre.



    Un coup de tonnerre plus fort que les autres ébranla la coque même du navire et Rälkezad, posant sa plume sur le secrétaire se mit à vérifier si de nouvelles voies d'eau devaient être colmatées.


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    Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang. Empty Re: Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang.

    Message par Rälkezad de Glace-Sang Dim 7 Aoû 2011 - 0:21

    Combien de temps avait pu passer depuis la dernière fois que le Réprouvé avait tenu la plume ? Il n’aurait su le dire lui-même, car le navire, dans un état avancé de délabrement avait requis de nombreuses heures de réparation. Il avait encore fallu calfater les voies d’eau et pomper dans la cale, de l’eau croupie jusqu’à mi-taille ; mais l’état du navire lui permettait à présent de se remettre à écrire.

    Sa seule occupation se trouvait dans le secrétaire. Il en ouvrit le tiroir central, récupéra un carnet aux feuilles de fin vélin à moitié recouvertes d’écritures. Il prit alors une seiche dans un bocal suspendu au plafond de la cale, et commença à la presser au dessus de l’encrier. L’animal exprima un liquide violet au fur et à mesure qu’il était pressé.

    Le Réprouvé fouilla encore l’un des tiroirs de droite et en sortit un petit flacon. Après avoir dosé quelques gouttes de ce flacon dans l’encrier, il le remua délicatement avec une tige d’algue. Il huma alors l’encrier et hocha la tête d’un air résigné, prêt à écrire de nouveau :



    Si je ne conserve quasiment aucun souvenir de ma première mort, il n’en va pas de même pour la deuxième. Il faut croire que l’esprit se remet plus facilement d’une épreuve qu’il a déjà vécue, car ma deuxième mort ne fut certes pas moins violente que la première.

    Peut-être est-ce parce que le temps de ma dernière heure semble approcher que je souhaite la raconter, car mes instants d’écriture sont bel et bien comptés.



    Le Réprouvé jeta un regard sur le reste de la cale, où flottaient de nombreux débris et objets de navigation, emmêlés dans des hamacs pourris et des algues filamenteuses. Il avait les pieds dans l’eau jusqu’aux chevilles.


    Je suis seul désormais, mes deux derniers compagnons d’infortune ont été emportés sur le pont par les flots en furie, comme ils essayaient d’amener notre dernière voile. Je ne pourrais plus diriger ce vaisseau, quand bien même je connaîtrais le bon cap.

    Étonnamment, je ne me sens plus inquiet. La fin semble écrite, mais je peux encore rédiger quelques pages sur ce cher carnet…



    Le Réprouvé sembla un instant replonger dans des souvenirs agités.


    A cette époque je servais la Nation Réprouvée, qui avait requis mes services pour faire entrer un parti de francs-tireurs dans les Maleterres de l’Est, que j’avais bien connues de mon vivant.

    Par mes preuves de dévouement à la Dame Noire, j’avais eu l’occasion de prendre le commandement de ce parti ; un commandement sans grande importance stratégique mais comportant de grands risques personnels, je peux le dire à présent.

    J’avais constitué un parti de véritables Trompe-la-mort, tous originaires des contrées orientales soumises par le Fléau. Tous nous ressentions une haine particulière contre ceux qui nous avaient massacrés de notre vivant.

    Nous avions en outre beaucoup de mépris pour ces morts-vivants qui nous paraissaient sans intelligence parce que privés de leur liberté.

    Dans ces territoires si puissamment tenus par le Fléau, mon escadron n’était guère conséquent mais il était adapté à la guerre de mouvement que nous menions face à l’Ennemi. Nous menions nos combats dans les bois flétris des Maleterres, prompts à engager les morts, prompts à nous dégager lorsqu’ils tentaient de nous prendre en tenaille. Nous avions acquis une grande expérience de ces combats-là, et la hardiesse conférée par une confiance grandissante rendait nos mains meurtrières.

    Nous n’étions pourtant guère plus que des guêpes, piquant sans cesse un ennemi trop puissant pour s’en ressentir vraiment et trop insensible pour réagir efficacement. Du moins en étions-nous venus à nous en persuader.

    Mais nous finîmes par attirer l’attention sur nous, car nous fumes attirés dans un piège que seule une intelligence retorse avait pu concevoir.

    Nous avions une fois de plus fondu sur un convoi de charogne escorté par une quinzaine de morts titubants et une abomination, le long de la route qui relie Peste-Bois à Val-Terreur.

    Nous avions mis le feu au dernier des corps démembrés et nous nous apprêtions rapidement à regagner les bois lorsque nous les vîmes sortir des bosquets environnants.

    Ils étaient seulement quatre, mais nous pouvions ressentir leur froide malveillance. Ils avaient attendu la fin des combats pour que nous sortions tous à découvert et c’est ce que nous avions fait. Ils n’étaient que quatre, mais de la sorte que nous évitions toujours : point lents à se mouvoir, ni bestiaux, et avec une certaine intelligence, que nous devinions à contrecœur et avec répugnance.

    Les miens voulurent cependant les affronter, sûrs de leur victoire et de leur nombre. Je n’étais moi-même pas en retrait, l’esprit enflammé par notre victoire encore fraiche.

    Je ne compris notre erreur que lorsqu’ils furent encore à quatre contre seulement six de notre côté ; nous étions désormais dos à dos, pitoyable cercle de défense contre ces combattants invincibles.

    Ils semblaient prendre plaisir à cette fin de combat, alors qu’une terreur abjecte nous comprimait le cœur. Nous le percevions dans leur façon de nous regarder et de tourner autour de nous, semblant nous inviter, les uns après les autres, à oser les affronter.

    Et en effet l’un des nôtres rompit le cercle et se rua sur celui qui était le plus proche de lui et qui semblait se désintéresser du combat plus que les autres. Mais l’ennemi fit soudainement volte-face et décapita notre compagnon d’un geste fulgurant.

    Glacés et désespérés, nous les vîmes reprendre leur ronde autour de nous, mimant une sorte de danse macabre cadencée et moqueuse. Nous étions condamnés, nous en étions certains à ce moment. C’est alors que l’un d’eux s’arrêta et glapit ces paroles :

    _ « Nous sommes las d’attendre et vous gâchez notre jeu, petites guêpes immobiles ! Ne voyez-vous pas que vous êtes encore cinq contre nous quatre ? Ne voulez-vous pas voler encore et vous échapper ? Nous laisserons une guêpe sur les cinq reprendre son vol, mais il faudra qu’elle soit rapide, oui, il faudra qu’elle soit agile, pour passer entre les rets de la Mort.

    _ Ne l’écoutez pas !
    » criai-je en retour.

    Mais mes quatre compagnons étaient au-delà de toute raison et comme des insensés ils avaient rompu le cercle pour tenter de fuir, comme l’avait suggéré le Fléau par la voix de son combattant.

    Quatre têtes volèrent au même instant et le même Non-Mort se tourna vers moi :

    _ « Tu n’as même pas saisi ta chance, petite guêpe… pour celui qui prétendait commander votre bande, voilà une triste fin, voir tomber tous ses combattants contre quatre stupides Non-Morts, si lents et si stupides… »

    Sa voix moqueuse et glaciale me montrait combien nous leur paraissions également faibles et stupides. A cet instant, mes forces et ma volonté m’abandonnaient, leur puissance m’avait vaincu.

    _ « Regarde-le, il ne lève même plus sa lame, il a déjà abandonné… » notait l’un de ses compagnons.

    _ « Oui, il semblerait… oh, vraiment, c’est décevant, je pensais garder le meilleur pour la fin. Tu ne danseras pas un peu pour moi, petit insecte, même pas un petit peu ? »

    Oui, à ce moment, j’étais prêt à abandonner. Je baissai la tête, les bras le long de mon corps, tenant à peine mon épée dans la main droite. Ils avaient montré que toute résistance était inutile, lorsque nous étions encore à quatre contre un et j’étais désormais seul contre eux quatre. Mais l’un des combattants qui n’avait pas encore pris la parole dit :

    _ « Bats-toi ! »

    Le ton était cinglant et je levai ma lame par pur réflexe au moment où le premier des leurs portait négligemment un coup pour séparer ma tête de mon corps. Je crois bien que l’ichor fit battre mon cœur trois fois, alors qu’il n’avait jamais battu depuis mon réveil dans la crypte des fossoyeurs. J’enchainai ma feinte favorite à une vitesse foudroyante et c’est la tête de mon ennemi qui tomba à terre lorsque mes pieds touchèrent de nouveau le sol.

    D’abord interdits, deux des trois autres combattants se portèrent silencieusement à ma rencontre et après avoir esquissé une vaine tentative pour parer leurs attaques, je me trouvai embroché par leurs deux lames qui ressortaient par ma poitrine et mon dos, luisantes de mon ichor. Tremblant de douleur, je restai debout, davantage à cause des lames que tenaient fermement mes deux ennemis et qui me transperçaient de part en part que grâce à mes genoux sans force.

    Le troisième combattant se rapprocha lentement de moi et dit : « il tient encore la garde de son arme, comme s’il allait passer dans l’au-delà avec. Mais il se trompe, car il restera sur ce monde tant que notre Roi aura besoin de lames, tant que ses membres pourront plier et souffrir, tant que la Guerre fera rage et que les Nations ennemies résisteront à Sa Volonté.

    Après peut-être, il connaîtra la paix de la Vraie Mort, si notre Roi le permet
    ».


    Ce jour là, je mourus pour la deuxième fois, des mains de combattants qui appartenaient à un Ordre que j’allais intégrer et servir de toutes mes forces, mais non point de toute ma volonté.

    Cependant narrer le récit des batailles que je menai pour le Roi-Liche prendrait bien plus de temps que ne m’en octroiera le Destin, si j’en crois les grincements qui parviennent à mes oreilles…
    Rälkezad de Glace-Sang
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    Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang. Empty Re: Mémoires de Sire Rälkezad de Glace-Sang.

    Message par Rälkezad de Glace-Sang Dim 7 Aoû 2011 - 0:22

    Dans la cale sombre que n'éclairait presque plus une bougie de suif, le Réprouvé semblait faire un songe, la tête renversée sur le dossier d'une chaise pourrissante.

    Sous ses paupières lourdes, les yeux du Réprouvé tressaillaient et roulaient dans leurs orbites
    .



    Il courait à travers les bois depuis maintenant deux jours.

    Il évitait avec agilité les groupes de morts qui erraient sans buts dans les Terres Fantômes. Trop lents, toujours un temps de retard, il n’était même pas important qu’ils ne le voient pas, car sa course était aussi légère que s’il n’avait pas commencé ce voyage depuis deux nuits déjà.

    Il avait passé les signes brisés du Royaume de Quel’Thalas, ne s’arrêtant pas à leur hauteur mais contournant au contraire les routes loin vers l’Est, là où sa monture ne lui serait d’aucune utilité. Pour ce périple, il n’avait pas envie d’expliquer aux Veilleurs combien il pouvait être différent depuis la libération d’Achérus.

    Quel’Thalas ! La guerre n’avait pas épargné le Royaume des Bien Nés, il le savait, mais la réalité dépassait ses pires craintes. Comment aurait-il pu survivre à cette dévastation ? Et surtout, comment la retrouver, cette personne dont il s’était mis en quête ?

    Lorsqu’il fut enfin en vue des murs de Lune d’Argent, qu’il pouvait apercevoir de loin sur cette butte, il s’arrêta un instant. Lune d’Argent ! Enfin !

    Il repensa aux circonstances qui l’avaient soudainement décidé à tout abandonner pour simplement courir vers le Royaume des Sin’Doreïs. Ce souvenir-là… pour la première fois à sa portée… il l’avait saisi comme un noyé saisit une corde, avec un soulagement à la mesure de son désespoir ; et s’était enfin souvenu des quelques jours sombres qui avaient précédé sa première Mort.

    Il avait enfin revu le visage de son ancien tuteur, et avec ce visage, il avait enfin entendu ses dernières paroles, comme son serviteur favori sanglait son harnais de voyage :

    « Tu sais bien que je dois y aller. La Guerre embrase Quel’Thalas et Il m’a fait quérir. Tu connais les anciennes allégeances qui lient ta famille. En y allant, je respecte ton Père et ta Mère, Fils-Sœur.

    Lordaeron ne peut déjà plus être sauvé. Bientôt le Mal viendra en ces contrées et tu auras bien assez tôt l’occasion de secourir les misérables qui fuiront son emprise. Mais tu as des biens également en Quel’Thalas, et il en va de ton honneur qu’ils soient défendus au Nord comme à l’Est par tes consorts. C’est ainsi que nous avons toujours agi. Notre sang doit payer les faveurs que le Destin a mises un jour entre les mains de notre lignée.

    Si d’aventure cela tournait mal ici, tu me retrouverais là-bas, sur nos terres. Tu leur montreras mon sceau, que je te remets, et souhaiteras parler au Capitaine de la 17ème Cohorte. Souviens-toi toujours de notre devise, car elle contient l’histoire de tous les tiens et apporte désormais aussi la connaissance de ton avenir
    . »

    Rälkezad murmura en regardant Lune d’Argent qui se détachait à l’horizon : « Par-delà les Terres des Hommes de Paix… »

    Il avait oublié depuis si longtemps cet entretien et le visage grave de son Oncle maternel lorsque celui-ci l’avait salué une dernière fois avant de partir avec son serviteur en direction du Nord. Savait-il alors que Lune d’Argent allait tomber un jour après seulement l’invasion des domaines familiaux de l’Est ?

    Mais désormais il en serait certain, il irait dans la maison de maître qui regardait les vagues du rivage de Brise-d’Azur. A présent il se souvenait aussi de son unique voyage, lorsque quittant l’enfance, il avait été autorisé par son Oncle à visiter les Domaines du Nord.

    Il avait passé de longues soirées d’automne à contempler la mer déchaînée affronter les récifs que dominait la Maison de Mer.

    Le dernier soir, avant de s’en retourner dans l’Est, il avait partagé cette vision avec une de ses jeunes parentes, qui était page auprès d’une Dame Bien Née. Elle l’avait regardé comme lui regardait la mer…

    La mer, cet espace de liberté infinie et sauvage… Rälkezad avait tourné la tête, car la mer n’était pas le chemin que l’on avait tracé pour lui. Dans une autre vie, peut-être que…

    Le Réprouvé marqué par les épreuves releva la tête et quitta ses souvenirs. Comme ils étaient nombreux à se bousculer à l’horizon de son esprit, maintenant que son Roi avait relâché l’emprise qu’il avait sur ses pensées.

    Oui… Là-bas, dans la Maison de Mer, il chercherait un signe. Un signe de vie, un signe de mort, mais il savait qu’il saurait le voir. Rälkezad regarda encore sa main, où brillait d’un reflet terne le sceau de sa famille. Il serra le poing jusqu’à la douleur. Oui, il était temps de se mettre en quête de sa famille.

    Il rejoindrait ses autres Frères Chevaliers en Norfendre juste après. Traverser la mer glacée, braver les courants et les monstres marins. Accoster sur ce territoire de terreur et de guerre implacable. Mais d’abord, il devait confronter son passé.

    Avec un dernier regard vers Lune d’Argent, Rälkezad reprit le chemin à demi effacé de ses anciens domaines du Nord.

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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Dim 7 Aoû 2011 - 0:22

    Le songe retenait le Réprouvé dans ses rets.


    [...]

    Un grand homme, le visage grave et ensanglanté, aux pieds de la forêt.

    Les vagues d’assaut du Fléau se brisaient contre lui et ses hommes, adossés à la lisière des bois. Des Hommes, oui. Ici en Quel’Thalas, ici sur les terres elfiques, ce qui restait de sa troupe allait se battre jusqu’au bout et se sacrifier pour gagner du temps.

    Il cracha un jet de sang sur l’herbe foulée autour de lui, faisant un moulinet avec sa lame pour se garder l’allonge nécessaire. Cela valait toujours mieux que de se battre dans les rues de Lune d’Argent comme les autres et d’assister impuissant aux massacres des femmes, des faibles et des enfants. Même d’ici, il entendait la Cité hurler sous l’assaut d’Arthas le Maudit.

    Ici au moins, jusqu’à la fin il sentirait le sol vivant sous ses pieds, il entendrait le bruit du vent sur les feuilles des arbres, il sentirait les effluves iodées venues de Brise-d’Azur.

    Les Bois des Chants-Eternels restaient un bel endroit, suffisamment beau pour y mourir, même lorsque le ciel était empli par des vols de créatures de cauchemar et les sentiers encombrés par les lourds Chariots de Peste, qui creusaient d’horribles ornières dans la forêt.

    Est-ce que le Domaine avait été évacué à temps ? Son loyal serviteur avait-il eu le temps de revenir aux quais de la Maison de Mer avec le voilier des voisins Bien Nés, dont le gracieux manoir était à présent en feu ? Sa fille y avait-elle embarqué comme il le lui avait ordonné ?

    Arwaelyn…

    Elle avait pleuré lorsqu’il lui avait fait ses adieux, pleuré devant les gens de sa troupe qui attendaient au bas du perron de la Maison de Mer, rendus hagards par les combats insensés qui avaient vu la moitié des leurs tomber dans les bois environnants.

    Il lui avait dit que cette époque ne permettait plus les larmes de tristesse que la jeunesse verse parfois pour ceux que la Mort appelait. Il lui avait pris la tête dans ses mains tachées de sang, avait collé son front tailladé contre le sien et avait murmuré des paroles de réconfort. Il lui avait dit qu’il rejoindrait bientôt sa mère, que de là il veillerait sur elle, que sa vie avait plus de valeur que la sienne, que des pactes avaient été scellés, que l’avenir de leur lignée dépendrait de la façon dont elle respecterait son engagement… que son honneur à elle ne résidait pas dans les combats mais dans l’amour qu’elle porterait à celui qu’on avait choisi pour elle, dans les domaines de l’Est…

    A travers ses pleurs, elle avait hoché frénétiquement la tête, mais déjà des hurlements retentissaient dans les bois, un sergent criait pour annoncer qu’ils revenaient à la charge.

    Il avait alors brusquement lâché le visage de sa fille, s’était troublé de voir les traits ensanglantés de sa fille mais avait du dégainer son épée. Il avait mis ses hommes en ordre d’escarmouche et avait couru à la rencontre des monstres qui sortaient des environs de la Maison de Mer.

    Il avait crié la devise de sa famille et rencontré ses premiers ennemis. D’un puissant coup d’épaule il avait renversé ce qui semblait être un ancien fermier de Lordaeron. Sans même lui planter son épée à travers le corps, il écrasa les os de sa tête de son pied chaussé de fer, réservant un large coup de taille au Non Mort suivant. Le combat se jouerait à l’économie des gestes, à l’épuisement. Il le savait, comme il savait qu’ils ne seraient pas victorieux.

    Mais seul le temps gagné comptait désormais.


    […]


    _ « Tu mens, comment cela se pourrait-il ?! Chien, tu l’as abandonné, toi en qui il avait le plus confiance ! Je te revois sangler son harnais de voyage avant de partir pour les combats en Quel’Thalas !

    Par quelle couardise es-tu encore en vie ? Et que me dis-tu à propos de ma cousine ? Par quels mensonges essais-tu de sauver ta misérable vie ? Quels plans sers-tu ?
    »

    Rälkezad n’en pouvait plus d’écouter le récit saccadé que lui faisait Galvan, l’ancien serviteur de son Oncle. Le signe qu’il avait trouvé dans les ruines de la Maison de Mer, et qui semblait rappeler à lui tous les jours révolus, dans cette pièce délabrée et ouverte aux vents mauvais. Mais ce signe était un mensonge, car l’inverse eut été trop terrible à imaginer.

    _ « Tuez-moi si tel est votre désir, infortuné Maître, mais ne m’accusez pas de lâcheté ! C’est bien sur son ordre en vérité que je suis allé voler le voilier de nos amis Bien Nés, sur son ordre, j’ai traversé la terre en feu, marché sur les corps des membres de cette malheureuse famille et sauvé le moyen de nous enfuir, votre cousine et moi.

    Oui, votre cousine, avec laquelle vous avez passé la dernière soirée lors de votre voyage sur ces terres. Vous étiez alors jeune mais vivant, oui, si vivant, Maître
    … » Galvan regardait intensément le visage de son jeune Maître, sa terreur et l’intonation de sa voix disaient trop bien que son récit était sincère, et aussi combien il aurait préféré ne jamais revoir son jeune Maître.

    _ « Votre Oncle avait depuis longtemps formé le projet de réunir les deux branches, car vous le savez, à sa majorité, votre cousine devenait son héritière et cela signifiait la scission de vos biens. Elle avait été placée chez une Dame Bien Née en prévision du jour où vous seriez en âge de l’épouser, votre Oncle l’avait décidé, elle

    _ Assez ! » hurla d’une voix brisée le Réprouvé.

    Il maintenait toujours à terre l’homme qu’il avait jadis considéré avec affection, mais la prise qu’il avait assurée sur sa gorge se relâchait. Des sanglots silencieux le secouaient, les pertes et les deuils passés menaçaient de le submerger comme aucun ennemi ne l’avait fait auparavant.

    Ses yeux laissaient couler de l’ichor rosâtre sur le visage du serviteur atterré.

    Le serviteur déglutit. Son bras se leva lentement, jusqu’à ce que sa main rencontre le visage marqué par la mort du jeune Rälkezad qui pleurait des larmes de sang. La main chercha l’ancien geste qui consolait le jeune Maître.

    L’autre bras en revanche se rapprochait de la lame de botte… Galvan était à moitié étouffé par la pitié et l’horreur. La garde de cuir contre la main à présent…

    Est-ce la pitié qui empêcha le premier coup d’être fatal ? Rälkezad, lanciné de douleur par la lame plantée dans son dos, raffermit immédiatement sa prise sur la gorge de son serviteur. Etouffé, Galvan planta encore deux fois la lame dans le dos de son Maître qui tressaillait sous les impacts, mais les coups avaient perdu de leur force. Bientôt l’homme ne bougea plus, le regard fixe.

    Se relevant avec lenteur, Rälkezad tituba jusqu’à se tenir contre le mur effondré de la pièce, l’ichor gouttant le long de son coude plié. Il pouvait voir de là les quais pourrissants de la Maison de Mer, où un fin et léger voilier était amarré.

    Il avait si longtemps tué les vivants, il avait été si longtemps persuadé que plus rien ne devait retenir la violence qui le faisait continuer à exister.

    Il savait à présent qu’il paierait pour ses crimes et que le prix ne pouvait qu’être exorbitant. La mer ne pourrait plus le faire se sentir libre. Plus maintenant.



    Quelques jours plus tard, à bord du vaisseau de la Horde qui menait comme une bétaillère toute une cohorte de Chevaliers de la Mort, Rälkezad se tenait droit.

    Il avait maintenant une raison de survivre aux charniers du Norfendre. Son périple ne faisait que commencer. Il retrouverait l’autre survivante de sa famille. Si la branche du Nord avait perduré, si le serviteur avait dit vrai, alors la guerre n’avait plus de sens pour Rälkezad.

    « Par delà les Terres des Hommes de Paix… » murmura Rälkezad…

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    Message par Rälkezad de Glace-Sang Dim 7 Aoû 2011 - 0:23

    Le Réprouvé se réveilla en sursaut, debout, se tâtant le haut du dos en grimaçant. Puis sans raison apparente, il renversa son siège qui tomba plus loin dans une grande éblaboussure.

    Il frappa de son poing une poutre de la cale.

    Il se frotta le poing, le regard de nouveau brumeux. Un autre souvenir opportuniste
    ...



    Le tumulte de la fête envahissait le bourg des Grisonnes. Mais le voyageur ne semblait pas partager la joie des paysans et des bourgeois. Son cheval morne avançait la tête basse sous le crachin du soir. Sous sa capuche, le Réprouvé observait les mouvements des villageois, comme étourdi par ce qu’il voyait.

    Partout autour, les villageois dansaient, sautaient, leurs rires libérés. Enfin la nouvelle leur parvenait ! Le Roi Liche n’était plus ! Les cohortes victorieuses allaient pouvoir rentrer chez elles ! La vie reprenait ses droits !

    Oh ! Comme la vie prenait sa revanche ! Un Non Mort était crucifié devant un feu de joie par-dessus lequel les jeunes femmes sautaient, éperdues, attendues par les jeunes hommes de l’autre côté.

    Le Non Mort grimaçait et bougeait ses membres entravés tel un grotesque épouvantail ; des fermiers lui tendaient dans un geste de dérision leurs choppes. Tous savaient qu’avant la fin de la nuit le Non Mort serait jeté au feu. Les symboles prenaient vie en cette fin de Jour heureux.

    Comme partout en ce jour, les vivants se libéraient de leur peur des Morts. Après avoir longtemps ployé sous leurs assauts, chaque hameau, chaque village brûlerait un Non Mort non sans avoir joué avec lui. Le Norfendre tout entier serait illuminé de feux de joie.

    Peu importait au juste si le Non Mort était pensant ou non. Celui-ci ne l’était pas. Ou trop peu. Quelle différence de toute manière ?

    Le voyageur était arrivé au milieu de la place, son cheval immobilisé par une farandole sautillante. Quel malaise lui serrait-il le cœur ? Il porta sa main à sa poitrine, laissant voir un bref instant sa peau craquelée et gelée. Noircie par la mort.

    Quelle fut la femme qui aperçut ce mouvement furtif ? Que cria-t-elle aux autres villageois ? Le voyageur ne le sut point, car des hommes l’encerclèrent aussitôt sans même cesser de danser et le désarçonnèrent, toujours au son des instruments rustiques de la région.

    Il fut battu, roué de coups de fléau à grain, son cheval égorgé sur lui par la foule prise de folie. Des os craquèrent, sa mâchoire brisée pendait lamentablement. Ses membres furent liés, on continuait à le battre et à le traîner à moitié vers un enclos à l’écart. On le soulevait, le hissait par-dessus la barrière et il fut jeté à bas.

    A moitié paralysé, aveuglé par des morceaux de chair et d’os de son visage, l’ichor suintant, il entendit des bruits de boue et de mouvement. Il n’était pas seul dans l’enclos. D’autres formes, ligotées elles aussi.

    Certaines sur d’autres, plusieurs sur une seule, des bruits de lutte, l’une des formes qui convulse sous le poids des autres. Non, certaines en dévorant une autre. Fléau et Réprouvés dans le même enclos. Les rires gras des spectateurs, les paris lancés dans la langue des humains. L’un des Non Morts du Fléau qui se tourne vers lui et qui commence à ramper vers lui.

    Sortir de l’état de choc. Utiliser son pouvoir. Commander au Non Mort, lui ordonner de l’oublier, paraître un de ses semblables, avant de sombrer…

    La nuit tombait sur le village en fête. Rälkezad sortait de sa torpeur de Mort. Autour de lui, toujours rampants, les Morts du Fléau continuaient à se mouvoir dans la boue comme des vers immondes.

    Le Réprouvé regardait d’un air hagard les formes démembrées dans l’enclos, sans comprendre ce qui lui arrivait. Mais son regard devint plus dur à mesure qu’il se reprenait. Il appela à sa manière l’un des Morts les plus proches de lui.

    « Reconnais-moi pour ce que je suis, ver de mort… viens, viens à moi, viens te nourrir de ma chair… »

    Oh oui, il venait, claquant des mâchoires dans la boue et le sang de l’enclos. Une lutte sourde s’engagea, d’autres plaies apparurent, attirant deux autres Non Morts vers lui. Vite. Il devait faire vite.

    Il réussit à bloquer le Non Mort sous son dos, lui présentant ses mains et ses poignets liés. Le Non Mort continuait à happer devant lui, lacérant les mains, les poignets, mais aussi les liens. Plus vite, immonde bouche d’enfer ! Sinon tes copains vont banqueter d’un met trop fin pour eux. Pas ce soir, non, pas ce soir.


    Libre ! Un poignet quasiment inutilisable, des mains rognés et rongés horriblement, mais libre. Les liens enserrant ses jambes déliés, tout en maintenant à l’écart les trois charognards maintenant sur lui.

    Rester couché, afin de ne pas attirer l’attention. Mais il n’y a pas de risque : le fermier de guet autour de l’enclos s’est éloigné afin de voir lui aussi comment brûle un Non Mort, là-bas sur le feu de joie.

    « Dansez ! Oui, riez, sautez de joie ! Profitez de votre nuit, vivants ! »


    La haine envahit le Chevalier de la Mort comme il est sur le point de sauter la barrière pour se sauver. Il regarde les vers immondes qui continuent de ramper vers lui. Il prend une décision. Une hache plantée sur un rondin, toute proche hors de l’enclos. Rälkezad la récupère, resaute dans l’horrible parc et coupe des liens. Avant de partir vers la forêt, il a ouvert la barrière de l’enclos.

    Il ne s’est pas encore trop éloigné du bourg quand il entend les premiers hurlements, qui éteignent les rires comme la tempête éteint une bougie.

    Cette nuit, les vivants ont vaincu la Mort. Mais pas ici. Ici, la Mort fait de la résistance.

    Se frottant se deux mains mutilées, Rälkezad s’enfonçe dans la forêt. Il abordera plus prudemment les lieux habités à l’avenir. Aux Fjords Hurlants, il prendra un navire pour Fossoyeuse. La Guerre continuera de plus belle après la victoire sur le Fléau, il en est désormais certain.

    Et lui, il sera dans les rangs des combattants. Plus jamais dans celui des victimes expiatoires.



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